Mercredi 30 Septembre 2009 :  Alcanadre > Logroño  36 km



Sonnet de la douce plainte

J'ai peur de perdre la merveille
de tes yeux de statue et cet accent
que vient poser la nuit près de ma tempe
la rose solitaire de ton haleine.

Je m'attriste de n'être en cette rive
qu'un tronc sans branche et mon plus grand tourment
est de n'avoir la fleur ou la pulpe ou l'argile
qui nourrirait le ver de ma souffrance.

Si tu es le trésor que je recèle,
ma douce croix et ma douleur noyée,
et si je suis le chien de ton altesse,

ah, garde-moi le bien que j'ai gagné
et prends pour embellir ta rivière
ces feuilles d'un automne désolé.


Sonnets de l'amour obscur - Federico Garcia Lorca






Je quitte l'albergue de la estacion de très bonne heure.
Je grimpe à nouveau au sommet du village pour rapporter la clé au Bar de l'Union.
L'étape est longue et commence par une ascension bien marquée qui offre une superbe vue
sur la vallée de l'Ebre que je vais retrouver un peu plus loin après avoir cotoyé
l'Ermita de la Virgen de Aradon. Le Chemin suit à nouveau un itinéraire bien connu,
entre voie ferrée et Rio Ebro. 



Le Castillo de Aguas Mansas à Agoncillo à la mi-étape



A nouveau les bords de l'Ebre que je côtoie en plusieurs endroits
et que je vais quitter au terme de cette dernière étape.
Rio Ebro tu as été un bon compagnon tout au long de ce Chemin
et je garderai dans mon coeur l'enchantement de tes vastes méandres,
le mystère de tes "Sotos" et de tes bosquets marécageux,
ainsi que tes reflets de ciel et de soleil propices à la contemplation...




Je profite de cette dernière journée de marche sur ce Chemin
pour déclamer tous les poèmes de mon répertoire...




 
Un beau spécimen d'églantier

(Églantier, églantier des chiens, rosier des chiens, rosier sauvage, rosier des haies.
Le nom de « rosier des chiens » vient de la propriété attribuée dans l'Antiquité à la 
racine 
de cette plante censée guérir la 
rage. Le cynorrhodon est le fruit du rosier et de l’églantier
,
il est appelé familièrement « gratte-cul », car il fournit le poil à gratter).



Cette petite forêt de chardons en contraste avec le vert de la vallée



Les premières vaches que je vois sur ce Chemin



Dernière belle vue sur l'Ebre



Avant d'arriver à Logroño, je traverse un Parc qui s'étend au pied de montagnes arides.



Puente de Piedra, par lequel arrive le Camino Francés



  "Santiago el Matamoro" sur la façade de l'église Santiago el Real
œuvre baroque qui représente Saint Jacques vêtu en pèlerin avec cape ,
brandissant de la main droite un sabre recourbé et chevauchant
un fringant destrier qui foule aux pieds les têtes des Sarrazins vaincus.




 Le beau portail gothique de l'église de San Bartolomé (15ème siècle)







Concatedral de Santa Maria la Redonda
Au cœur du vieux quartier, elle doit sans doute son nom à ce qu'elle remplaça un ancien temple rond (ou polygonal)
semblable à ceux d'Eunate et de Torres del Rio. Bâtie au
XV
e et XVIIIe siècles, elle a été élevée
au rang de concathédrale en 1959, en même temps que celles de Calahorra et Santo Domingo de la Calzada.
Le plus significatif de l'extérieur est sa façade principale sous forme de voûte,
flanquée par deux hautes tours baroques du
XVIII
e siècle, appelée « las gemelas » (la jumelles), très ornées.

Visite de Logroño
 
Je vais dîner seul à la Taberna de Portales où je vais me permettre quelques extras...
J'ai commencé ce Chemin seul et je le termine seul.
Je ne me suis pas senti en phase avec les quelques pèlerins rencontrés à l'albergue et dans la ville
et j'ai préféré rester dans ma solitude plutôt qu'une compagnie forcée qui m'aurait mis mal à l'aise.
Je finis la soirée avant d'aller dormir, dans un bar sur la Calle Portales, avec un "
Orujo de hierbas
".
 


Je vais à l'Albergue de Peregrinos où je retrouve une soixantaine de pèlerins qui marchent
sur le Camino Francés. Quel contraste avec les jours précédents !

  
2 Coquilles
 



    Me voici arrivé au terme de ce Chemin. Pour la première fois depuis 5 ans,
    je n'arrive pas à Compostelle !

    J'ai un peu un sentiment d'inachevé. Mais je crois que je n'en avais pas vraiment le désir.
    Par quatre fois mes Chemins des années précédentes m'ont conduit jusqu'à Santiago.
    J'ai en quelque sorte épuisé la capacité d'émerveillement et d'émotions que je portais en moi
    lors de mes séjours dans cette capitale de la Galice, qui a été le but de tant de millions
    de pèlerins avant moi. L'arrivée à Logroño après 17 jours de solitude sur ce beau Chemin de l'Ebre
    me ramenait plusieurs années en arrière et je n'avais pas envie de ce retour vers le passé.
    Je crois que chaque Chemin apporte son lot de moments heureux, de belles rencontres
    et parfois aussi de moments de galère.

    Ce qu'on vit sur un Chemin, il ne faut pas essayer de le revivre.
    Ce sera toujours différent et c'est tant mieux.
    Alors à Logroño, il y avait le souvenir de mon passage en Juin 2005.
    Et ce soir, dans cette auberge au milieu de cette soixantaine de pèlerins marchant sur le Camino Francés
    je me sentais bien seul , un peu comme décalé par rapport à cet environnement, avec comme seul désir
    d'aller au plus vite à Figueras où je devais retrouver ma compagne pour visiter le Musée Dali
    et ensuite passer quelques jours avec elle à Cadaquès...

     



 

 

    Ode à Salvador Dali

    Une rose dans le haut jardin que tu désires.
    Une roue dans la pure syntaxe de l’acier.
    Elle est nue la montagne de brume impressionniste.
    Les gris en sont à leurs dernières balustrades.


    Dans leurs blancs studios, les peintres modernes
    Coupent la fleur aseptique de la racine carrée.
    Sur les eaux de la Seine, un iceberg de marbre
    Refroidit les fenêtres et dissipe les lierres.


    L’homme, d’un pas ferme, foule les rues dallées
    Et les vitres esquivent la magie du reflet.
    Le Gouvernement a fermé les boutiques de parfums.
    La machine éternise ses mouvements binaires.


    C’est une absence de forêts, de paravents, d’entre-sourcils
    Qui rôde par les terrasses des maisons antiques.
    Et c’est l’air qui polit son prisme sur la mer,
    C’est l’horizon qui monte comme un grand aqueduc.


    Les marins ignorant le vin et la pénombre
    Décapitent les sirènes sur des mers de plomb.
    La Nuit, noire statue de la prudence,
    Tient le miroir rond de la lune dans sa main.


    Un désir nous gagne, de formes, de limites.
    Voici l’homme qui voit à l’aide d’un mètre jaune.
    Venus est une blanche nature-morte.
    Voici que les collectionneurs de papillons s’effacent.


    Cadaquès, sur le fléau de l’eau et de la colline,
    Soulève des gradins et enfouit des coquilles.
    Des flûtes de bois pacifient l’air.
    Un vieux dieu sylvestre donne des fruits aux enfants.


    Sans avoir pris le temps de s’endormir, les pêcheurs dorment sur le sable.
    En haute mer, ils ont une rose pour boussole.
    L’horizon vierge de mouchoirs blessés
    Joint les masses vitrifiées du poisson et de la lune.


    Une dure couronne de blanches brigantines
    Ceint des fronts amers, des cheveux de sable.
    Les sirènes persuasives ne nous suggestionnent pas.
    Elles apparaissent au premier verre d’eau douce.


    Ô Salvador Dali à la voix olivée !
    Je ne vante pas ton imparfait pinceau adolescent,
    Ni ta couleur qui courtise la couleur de ton temps.
    Je chante ton angoisse, ô limité, limité éternel !


    Âme hygiénique, tu vis sur des marbres nouveaux.
    Tu fuis l’obscure selve des formes incroyables.
    Où atteignent tes mains, ta fantaisie atteint,
    Et tu jouis du sonnet de la mer dans ta fenêtre.


    Aux premières bornes que l’homme rencontre,
    Le monde n’est que désordre et que sourde pénombre.
    Mais déjà les étoiles, cachant les paysages,
    Désignent le schéma parfait de ses orbites.


    Le courant du temps s’apaise et s’ordonne
    Dans les formes numériques d’un siècle, et d’un autre siècle.
    La Mort vaincue se réfugie en tremblant
    Dans le cercle étroit de la minute présente.


    En prenant ta palette, dont l’aile est trouée d’un coup de feu,
    Tu demandes la lumière qui anime la coupe renversée de l’olivier.
    Large lumière de Minerve, constructrice d’échafaudages,
    Lumière où ni le songe, ni sa flore inexacte n’ont place.


    Tu demandes la lumière antique qui reste sur le front,
    Qui ne descend ni à la bouche, ni au cœur de l’homme.
    Lumière que craignent les vignes poignantes de Bacchus
    Et la force désordonnée qui porte l’eau courbe.


    Tu as raison de banderoler la limite obscure,
    Toute brillante de nuit. Et en tant que peintre,
    Tu ne veux pas que ta forme soit amollie
    Par le coton changeant d’un nuage imprévu.


    Le poisson dans le vivier, l’oiseau dans la cage,
    Tu ne veux pas les inventer dans la mer ou le vent.
    Après les avoir, de tes honnêtes pupilles, bien regardés,
    Tu stylises ou copies les petits corps agiles.


    Tu aimes une matière définie et exacte
    Où le champignon ne puisse dresser sa tente.
    Tu aimes l’architecture qui contruit dans l’absent
    Et tu prends le drapeau pour une simple plaisanterie.


    Le compas d’acier rythme son court vers élastique.
    La sphère déjà dément les îles inconnues.
    La ligne droite exprime son effort vertical
    Et les cristaux savants chantent leurs géométries.


    Mais encore et toujours la rose du jardin où tu vis.
    Toujours la rose, toujours ! nord et sud de nous-mêmes !
    Tranquille et concentrée comme une statue aveugle,
    Ignorante des efforts souterrains qu’elle cause.


    Rose pure, abolissant artifices et croquis
    Et nous ouvrant les ailes ténues du sourire.
    (Papillon cloué qui médite son vol).
    Rose de l’équilibre sans douleurs voulues. Toujours la rose !


    Ô Salvador Sali à la voix olivée !
    Je dis ce que me disent ta personne et tes tableaux.
    Je ne loue pas ton imparfait pinceau adolescent,
    Mais je chante la parfaite direction de tes flèches.


    Je chante ton bel effort de lumières catalanes
    Et ton amour pour tout ce qui explicable.
    Je chante ton cœur astronomique et tendre,
    Ton cœur de jeu de cartes, ton cœur sans blessure.


    Je chante cette anxiété de statue que tu poursuis sans trêve,
    La peur de l’émotion qui t’attend dans la rue.
    Je chante la petite sirène de la mer qui te chante,
    Montée sur une bicyclette de coraux et de coquillages.


    Mais avant tout je chante une pensée commune
    Qui nous unit aux heures obscures et dorées.
    L’art, sa lumière ne gâche pas nos yeux.
    C’est l’amour, l’amitié, l’escrime qui nous aveuglent.


    Bien avant le tableau que, patient, tu dessines,
    Bien avant le sein de Thérèse, à la peau d’insomnie,
    Bien avant la boucle serrée de Mathilde l’ingrate,
    Passe notre amitié peinte comme un jeu d’oie.


    Que des traces dactylographiques de sang sur l’or
    Rayant le cœur de la Catalogne éternelle !
    Que les étoiles comme des poings sans faucon t’illuminent,
    Pendant que ta peinture et que ta vie fleurissent.


    Ne regarde pas la clepsydre aux ailes membraneuses,
    Ni la dure faux des allégories.
    Habille et déshabille toujours ton pinceau dans l’air,
    Face à la mer peuplée de barques et de marins.
     

 




Comme je termine la rédaction de ces pages, j'apprends la mort du poète-chanteur Jean Ferrat le 13 Mars 2010
et j'ai envie de clore le récit de ce Chemin avec la chanson ci-dessous.


C'est Beau la vie

Le vent dans tes cheveux blonds
Le soleil à l'horizon
Quelques mots d'une chanson
Que c'est beau, c'est beau la vie

Un oiseau qui fait la roue
Sur un arbre déjà roux
Et son cri par dessus tout
Que c'est beau, c'est beau la vie.

Tout ce qui tremble et palpite
Tout ce qui lutte et se bat
Tout ce que j'ai cru trop vite
A jamais perdu pour moi

Pouvoir encore regarder
Pouvoir encore écouter
Et surtout pouvoir chanter
Que c'est beau, c'est beau la vie.

Le jazz ouvert dans la nuit
Sa trompette qui nous suit
Dans une rue de Paris
Que c'est beau, c'est beau la vie.

La rouge fleur éclatée
D'un néon qui fait trembler
Nos deux ombres étonnées
Que c'est beau, c'est beau la vie.

Tout ce que j'ai failli perdre
Tout ce qui m'est redonné
Aujourd'hui me monte aux lèvres
En cette fin de journée

Pouvoir encore partager
Ma jeunesse, mes idées
Avec l'amour retrouvé
Que c'est beau, c'est beau la vie.

Pouvoir encore te parler
Pouvoir encore t'embrasser
Te le dire et le chanter
Oui c'est beau, c'est beau la vie

 

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