Mercredi 26  Août 2015 : Higueruela > Chinchilla (27,3 km)

 


    Ô ma vie, que je voudrais être celui qui répond 
    à ton plus juste désir.
    Ô ma vie, en te voyant, plus tard,
    dira-t-on que mon ardeur n'a point suffi 
    à te remplir toute entière, ma vie, 
    que dis-je, à t'exalter, 
    à trouver le secret qui multiplie tes possibilités ? 
    Enfin, à te découvrir, ma vie, 
    là où tout germe encor, 
    dans cette terre qui unifie la vie et la mort.
    Dans ta terre intime, ma vie, 
    d'où fut tiré mon coeur, 
    et dont le ciel n'est que nostalgie 
    de la terrestre splendeur. 


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    Quelle chance de porter deux petits seins 
    vers quelqu'un, vers l'inconnu... 
    Deux petits seins qui disent : peut-être demain... 
    et qui, sans rien de plus, 
    sont heureux. Entre eux le médaillon 
    avec la douce image de la mère repose.
    On dirait que sa protection les sépare,
    ces deux seins, pour que la jeune fille n'ose 
    les sentir tous les deux à la fois, 
    ces petits seins juvénils que l'on doit 
    porter à quelqu'un, à l'inconnu, 
    et qui vivent un peu à l'insu de la porteuse. 
    Vont-ils la rendre heureuse, 
    ces deux petits seins innocents qui résistent aux vents de la vie ?...
    Ces petits seins têtus, 
    d'un semblant de deuil revêtus 
    contre lequel ils posent, 
    sous d'imperceptibles alertes, 
    leurs tendres demandes de roses couvertes. 


    Rainer Maria Rilke - Aus: Poèmes et Dédicaces (1920-1926)



Entre ombre et lumière...


Où est passé Don Quichotte ? Non, je n'irai pas attaquer ces moulins à vent...


L'église de Hoya-Gonzalo

                                
Calvaire récent en l'honneur du Camino


Les champs parfaitement bien labourés...

     
Abri de berger ou de pèlerin ?


Le décor est somptueux...


...et je suis dans l'émerveillement devant cette nature aride et pourtant si riche en couleurs...


Immensité où le Chemin seul est mon guide et mon compagnon...

 
Ah ! enfin une ombre bienfaitrice !

        



Comme un écran ouvert sur ce paysage presque iréel !


Et cette longue piste qui semble ne mener nulle part...

  
Ah ! Je suis toujours là !...

 



L'arrivée en vue de Chinchilla dominée pars son Castillo

     
L'église et l'ayuntamiento de Chinchilla de Montearagon


    Je suis réveillé tôt, aussi je décide de partir à la nuit en suivant la route jusqu'à Hoya-Gonzalo qui est à 10,5 km.
    Je quitte l'Albergue à 5h15. Il y a très peu de circulation à cette heure matinale. Comme il fait frais, et que le bord de
    la route est facile pour marcher, j'enchaîne pour la première fois le texte de Cendrars "La Prose du Transsibérien et de
    la petite Jeanne de France
    " durée 25 minutes. Ma mémorisation est parfaite, il reste maintenant à trouver le ton juste,
    les intonations particulières et le rythme pour que ce texte déclamé soit à la fois respectueux de son auteur et également
    assez "accrocheur" pour maintenir l'attention de l'auditeur...
    C'est ce que à quoi je vais m'attacher pendant ces
    7 semaines en travaillant cette déclamation tous les matins
    lors des premiers kilomètres de l'étape.


    Un peu après la sortie du Pueblo Hoya-Gonzalo, première pause pour rafraîchir les pieds, boire de la Horchata bien
    fraîche et grignoter quelques amandes. Un épais brouillard arrive soudainement qui disparaît aussi vite et laisse la
    place
    à un beau soleil. À un croisement du chemin, où le balisage est défectueux, je fais un aller-retour et c'est alors
    que je
    rencontre un homme qui sortait d'un champ et qui m'indique la bonne direction. J'arrive à un hameau en face
    duquel
    il y a un Calvaire récent en l'honneur du Camino !

    Puis longue piste qui serpente au milieu d'une immensité de champs labourés traversés par les saignées des vignes
    ce qui crée des contrastes de couleurs de toute beauté ! Du brun, de l'ocre, du marron, du jaune, toutes les nuances
    de vert et le rouge de la terre ! Je me sens comme enfoui dans cette immensité qui semble n'avoir pas de limites !

    Je fais une deuxième pause au pied d'un pin...méditation, contemplation, le Chemin est mon Guru et je me laisse
    emmener dans un demi-sommeil où se mêlent rêverie poétique et un certain éveil à la transcendance...


    Il y a ensuite une descente somptueuse vers Chinchilla avec devant soi un plateau qui s'étend à l'infini et au loin
    des petites montagnes couvertes d'éoliennes...C'est bien là le cœur de l'Espagne dans toute sa splendeur !
    Le Chemin s'allonge au fond de l'horizon au milieu de ces grandes étendues cultivées avec toujours cette variété
    de couleurs qu'un peintre magicien a projeté à partir de sa palette cosmique !

    Les derniers kilomètres me paraissent bien longs et arrivé près de l'autoroute presque à l'entrée de Chinchilla,
    il me reste un bon raidillon à grimper avant de redescendre sur le bas de la ville où je vais directement à l'Hostal
    El Peñon, terme de mon étape et où j'ai droit à un agréable réconfort, à savoir cerveza bien fraîche, olives et tortilla !

    En fin d'après-midi, je grimpe dans la partie haute de la ville et je repère le chemin pour demain matin.
    Je m'arrête ensuite dans une Meson Manchega pour demander si je peux dîner, il est 19h30.
    Je commande des spécialités de la Mancha. C'est délicieux ! Mais je ne sais si c'est à cause de mon air de pèlerin,
    on m'apporte à la suite 7 plats ainsi qu'une bouteille de vin le tout pour 18 euros ! Là je n'arriverai pas à finir les
    derniers plats et je rentre à l'Hostal plus que rassasié !


 


Lien avec le commentaire de Gilbert

Lien avec le commentaire "Chemin du Levant"

 


Hébergement à l'Hostal El Peñon - Tél 967 26 00 58
Chambre 15 euros avec SDB sur le palier
Un peu bruyant et pas climatisé...
Mais bon rapport qualité/prix et il n'y a guère d'autre choix !
2 coquilles



    Je suis peut-être enfoui au sein des montagnes
    solitaire comme une veine de métal pur;
    je suis perdu dans un abîme illimité,
    dans une nuit profonde et sans horizon.
    Tout vient à moi, m'enserre et se fait pierre.

    Je ne sais pas encore souffrir comme il faudrait,
    et cette grande nuit me fait peur;
    mais si c'est là ta nuit, qu'elle me soit pesante,
    qu'elle m'écrase,
    que toute ta main soit sur moi,
    et que je me perde en toi dans un cri.

    Toi, mont, seul immuable dans le chaos des montagnes,
    pente sans refuge, sommet sans nom,
    neige éternelle qui fait pâlir les étoiles,
    toi qui portes à tes flancs de grandes vallées
    où l'âme de la terre s'exhale en odeurs de fleurs.

    Me suis-je enfin perdu en toi,
    uni au basalte comme un métal inconnu?
    Plein de vénération, je me confonds à ta roche,
    et partout je me heurte à ta dureté.

    Ou bien est-ce l'angoisse qui m'étreint,
    l'angoisse profonde des trop grandes villes,
    où tu m'as enfoncé jusqu'au cou?

    Ah, si seulement un homme pouvait dire
    toute leur insanité et toute leur horreur,
    aussitôt tu te lèverais, première tempête de monde,
    et les chasserais devant toi comme de la poussière_

    Mais si tu veux que ce soit moi qui parle,
    je ne le pourrai pas, car je ne comprends rien;
    et ma bouche, comme une blessure,
    ne demande qu'à se fermer,
    et mes mains sont collées à mes côtés comme des chiens
    qui restent sourds à tout appel.

    Et pourtant, une fois, tu me feras parler.

    Que je sois le veilleur de tous tes horizons
    Permets à mon regard plus hardi et plus vaste
    d'embrasser soudain l'étendue des mers.
    Fais que je suive la marche des fleuves
    afin qu'au delà des rumeurs de leurs rives
    j'entende monter la voix silencieuse de la nuit.

    Conduis-moi dans tes plaines battues de tous les vents
    où d'âpres monastères ensevelissent entre leurs murs,
    comme dans un linceul, des vies qui n'ont pas vécu

    Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites;
    la panique des incendies couve dans leur sein
    et elles n'ont pas de pardon à attendre
    et leur temps leur est compté.

    Là, des hommes insatisfaits peinent à vivre
    et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
    et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
    qui s'est substituée au fond des nuits sans nom
    au sourire heureux d'un peuple plein de foi.

    Ils vont au hasard, avilis par l'effort
    de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
    et leurs vêtements s'usent peu à peu,
    et leurs belles mains vieillissent trop tôt.

    La foule les bouscule et passe indifférente,
    bien qu'ils soient hésitants et faibles,
    seuls les chiens craintifs qui n'ont pas de gîte
    les suivent un moment en silence.

    Ils sont livrés à une multitude de bourreaux
    et le coup de chaque heure leur fait mal;
    ils rôdent, solitaires, autour des hopitaux
    en attendant leur admission avec angoisse.

    La mort est là. Non celle dont la voix
    les a miraculeusement touchés dans leurs enfances,
    mais la petite mort comme on la comprend là;
    tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
    aigre, vert, et qui ne mûrit pas.

    O mon Dieu, donne à chacun sa propre mort,
    donne à chacun la mort née de sa propre vie
    où il connut l'amour et la misère.

    Le Livre de la Pauvreté et de la Mort
    Rainer Maria Rilke (1902)




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