Points d'inflexion
Le point d'inflexion est un lieu du corps féminin, ou masculin, qui recèle une
parcelle de charme, un espace
sur lequel vagabondent le rêve et le sens. Le point d'inflexion agit comme un
déclencheur et est censé émouvoir
avant tout. Tout le corps est ainsi parsemé de « points d'inflexion ».
Étant donné leur nature discrète, ils ne se
livrent vraiment qu'après une approche, qu'on pourrait appeler herméneutique,
complexe. Chaque femme
possède nécessairement un capital de points d'inflexion qui, pour la plupart,
résistent à l'âge. L'homme dispose
d'un capital similaire, bien qu'il soit situé ailleurs.
La jeunesse d'un corps augmente la richesse des points d'inflexion, mais cette
richesse ne se décline qu'au présent.
Il est deux types de points d'inflexion : ceux qui sont visibles au premier
abord, perceptibles par le tout-venant
et ceux qui nécessitent une connaissance approfondie de la personne désirée
afin d'être perçus, car leur découverte
n'est pas à la portée de tout regard.
Dans le cadre ouvert de la séduction, seul le regard d'Autrui peut trouver en
moi les points d'inflexion originaux
et inhabituels, que je porte parfois même sans y prendre garde.
Sur le corps, un inventaire discret peut être dressé : il faut chercher le plus
grand nombre de points d'inflexion
dans les endroits de liaison : cou, attaches de la clavicule, épaules,
aisselles, chute des reins, galbe des seins,
cambrures féminines ou courbures du torse masculin, paupières closes ou
entrouvertes, lèvres.
Un point d'inflexion peut être indifféremment une tache, un creux, un grain de
peau, une surface lisse, des plis
aux coins des yeux, un cil recourbé, une lèvre ourlée... Les muqueuses sont
généralement tapissées de points
d'inflexion ; l'épiderme doux et élastique en regroupe un grand nombre.
Enfin, un troisième type de points d'inflexion, plus abstrait que les deux
types précédents, peut naître à la lecture
cinétique d'un geste, d'un mouvement de bras ou d'un déplacement de l'ensemble
du corps.
La voix (fluidité, musicalité, chaleur, beauté) est chargée de signes
algébriques positifs ou négatifs. Le chaud,
le froid, le mou, le dur, le faible, le fort sont autant d'éléments qui donnent
un sens au tapis sensible de l'inflexion.
Un point d'inflexion est de signe constant. Le regard désirant de celui qui
cherche à séduire est « informé » de
cette touche délicatement enchâssée.
Le travail artificiel de la femme visant à accentuer ses moyens de séduction
intervient le plus souvent en doublure
de ses points d'inflexion. À l'inverse, lorsqu'un artifice aussi apparent que
le maquillage est imparfaitement
exploité, il alourdit d'autant ce qu'il y a d'aérien dans le point d'inflexion.
Chacun peut toutefois se prévaloir
d'un quantum de séduction, lié à sa capacité de mettre à profit la
versification innée de ses points d'inflexion
dont la synthèse compose ce qui s'appelle communément « charme ».
Que ces « lieux de charme » deviennent des espaces de vagabondage, voilà à quoi
aspirent ceux dont la
nitescence* d'un regard ou l'infinité du point dérisoire, que décline
l'inflexion, aimantent comme la fleur
carnivore attire sa proie.
In, "Le livre des séductions" Malek
Chebel
|