La marche n'est pas seulement une promenade incertaine,
une errance solitaire.
Elle a pu prendre dans l'histoire des formes codifiées, qui en fixaient le
déroulement,
le terme et la finalité. Le pèlerinage fait partie de ces grandes formes
culturelles.
Le premier sens de "peregrinus", c'est : l'étranger, l'exilé.
Le pèlerin n'est pas, primitivement, celui qui se rend quelque part
(Rome, Jérusalem, etc...) mais d'abord celui qui "n'est pas chez lui
là où il marche".
Ou alors, c'est un promeneur qui prend l'air et fait quelques enjambées à
l'entour pour digérer, ou le
propriétaire, le dimanche, qui fait le tour à pied de ses exploitations.
Mais le pèlerin, lui, n'est jamais chez lui où il marche : un étranger.
Ainsi sommes-nous disent les Pères, sur la terre comme en pays de transit,
et il faudrait toujours voir sa maison comme le refuge d'une nuit,
ses biens comme un paquetage délestable, et ses amis comme des gens rencontrés
sur le bord des chemins. Une gerbe de paroles, à propos du temps qu'il fait,
quelques poignées de main, et puis bonsoir : "Bonne route".
Tout homme ici-bas est un pèlerin, disent les Pères : sa vie entière est un exil,
car sa vraie demeure n'est pas atteinte et ne peut jamais l'être ici-bas.
Et la Terre toute entière est un abri de fortune. Le chrétien passe dans la vie
comme le marcheur dans n'importe quel pays : sans s'arrêter.
On trouve, par exemple, ces vers dans le chant du Pèlerin de Compostelle :
« Compagnon, nous faut cheminer, sans faire demeurance... »
Marcher, une
philosophie - Frédéric Gros
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