Jeudi 22 Mai 2008  -  Lubian > La Gudiña  (27,3 km)



    Les voyages à pied / une nuit délicieuse

    La chose que je regrette le plus dans les détails de ma vie dont j'ai perdu la mémoire
    est de n'avoir pas fait des journaux de mes voyages. Jamais je n'ai tant pensé, tant existé,
    tant vécu, tant été moi, si j'ose ainsi dire, que dans ceux que j'ai faits seul et à pied.
    La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées :
    je ne puis presque penser quand je reste en place; il faut que mon corps soit en branle
    pour y mettre mon esprit. La vue de la campagne, la succession des aspects agréables,
    le grand air, le grand appétit, la bonne santé que je gagne en marchant,
    la liberté du cabaret, l'éloignement de tout ce qui me fait sentir ma dépendance,
    de tout ce qui me rappelle à ma situation, tout cela dégage mon âme,
    me donne une plus grande audace de penser,
    me jette en quelque sorte dans l'immensité des êtres pour les combiner,
    les choisir, me les approprier à mon gré, sans gêne et sans crainte.

    Je dispose en maître de la nature entière; mon coeur, errant d'objet en objet, s'unit,
    s'identifie à ceux qui le flattent, s'entoure d'images charmantes, s'enivre de sentiments délicieux.
    Si pour les fixer je m'amuse à les décrire en moi même, quelle vigueur de pinceau,
    quelle fraîcheur de coloris, quelle énergie d'expression je leur donne !
    On a, dit-on, trouvé de tout cela dans mes ouvrages,
    quoique écrits vers le déclin de mes ans.
    Oh ! si l'on eût vu ceux de ma première jeunesse,
    ceux que j'ai fait durant mes voyages,
    ce que j'ai composés et que je n'ai jamais écrits..."

    Je me souviens d'avoir passé une nuit délicieuse hors de la ville,
    dans un chemin qui côtoyait le Rhône ou la Saône, car je ne me rappelle pas lequel des deux.
    Des jardins élevés en terrasse bordaient le chemin du côté opposé.
    Il avait fait très chaud ce jour-là, la soirée était charmante ; la rosée humectait l'herbe flétrie ;
    point de vent, une nuit tranquille ; l'air était frais, sans être froid ; le soleil, après son coucher,
    avait laissé dans le ciel des vapeurs rouges dont la réflexion rendait l'eau couleur de rose :
    les arbres des terrasses étaient chargés de rossignols qui se répondaient de l'un à l'autre.
    Je me promenais dans une sorte d'extase, livrant mes sens et mon coeur à la jouissance de tout cela,
    et soupirant seulement un peu du regret d'en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie,
    je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade, sans m'apercevoir que j'étais las.
    Je m'en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d'une espèce de niche
    ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse ;
    le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres ;
    un rossignol était précisément au-dessus de moi ; je m'endormis a son chant  :
    mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage.
    Il était grand jour : mes yeux, en s'ouvrant, virent l'eau, la verdure, un paysage admirable.
    Je me levai, me secouai, la faim me prit, je m'acheminai gaiement vers la ville,
    résolu de mettre à un bon déjeuner deux pièces de six blancs qui me restaient encore.
    J'étais de si bonne humeur que j'allais chantant tout le long du chemin.(...)

    Les Confessions, extrait du livre IV  -  Jean-Jacques Rousseau
     



                                                 
On arrive en Galice et désormais le Chemin sera balisé avec ces stèles                      Premier Sanctuaire en Galice dans le hameau de La Canda
indiquant le kilomètrage restant à parcourir jusqu'à Santiago                                                                                                               




Belle fontaine jacquaire...



Comme la lande galicienne est belle !


                   
                                    Les vaches de Galice...                                             Cette belle rivière m'a donné envie, mais à ce moment là, le temps menace....       



L'Ermita de la Virgen de Loreto à O Pereiro



Le Chemin est bordé de genêts éclatants de blancheur...


                   
On se repose un peu au pied de ce beau calvaire de granit un peu après O Cañizo à 3 km de La Gudiña



Un bon temps fraternel avec ces 2 compagnons basques...
 


    La sortie de Lubian jusqu'au sanctuaire de la Tuiza se fait par un petit chemin descendant tout à fait agréable.
    Ensuite je me perds quelque peu et ne retrouvant pas le Chemin, je décide de suivre la N-525, très peu passante,
    aux premières heures du jour. En fait sans le vouloir, je vais éviter les détours que fait le Chemin et la montée
    jusqu'au col de Canda à 1260 m d'altitude. En effet la nationale tire tout droit en passant sous le col par un tunnel
    que je vais traverser avec un peu d'appréhension. Je ne rencontrerai aucun véhicule pendant la traversée de ce
    tunnel long d'un bon kilomètre ! Je suis quand même heureux de retrouver le Chemin après le col, d'autant plus
    que le reste du parcours est superbe !

    On est maintenant entré en Galice et comme pour mieux le signifier, les ruisseaux ont choisi de faire leurs lits
    sur les chemins parfois boueux, parfois plus qu'inondés. Il y a de l'eau qui coule de partout et en contrebas
    une belle rivière bien tentante ! Mais l'accès n'est pas facile et de plus le temps incertain.
    On traverse quelques beaux villages puis on remonte à plus de 1000 m à travers une lande sauvage magnifique.

    J'arrive à l'albergue de La Gudiña vers 13h30 après deux bonnes pauses pour reposer mes genoux qui commencent
    à fatiguer. Cette auberge va se remplir dans l'après-midi avec des pèlerins venus de je ne sais où ?... Mystère ! ...
    (J'ai vu qu'il y avait quelques allemands qui trouvaient moins fatiguant de faire les étapes en bus !)

     

 


Hébergement dans l'albergue de peregrinos de la Xunta de Galicia
qui est spacieuse, bien agencée et bien équipée avec 25 à 30 lits.

3 Euros la nuit  -  4 Coquilles

 

 


    Extrait de la  "Prose du Transsibérien et la Petite Jeanne de France"

    "Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?" 

    Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours
    Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t'a nourrie,
    du Sacré Coeur contre lequel tu t'es blottie
    Paris a disparu et son énorme flambée
    Il n'y a plus que les cendres continues
    La pluie qui tombe
    La tourbe qui se gonfle
    La Sibérie qui tourne
    Les lourdes nappes de neige qui remontent
    Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l'air bleui
    Le train palpite au coeur des horizons plombés
    Et ton chagrin ricane... 

    "Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?" 

    Les inquiétudes
    Oublie les inquiétudes
    Toutes les gares lézardées obliques sur la route
    Les fils télégraphiques auxquels elles pendent
    Les poteaux grimaçant qui gesticulent et les étranglent
    Le monde s'étire s'allonge et se retire comme un accordéon
    qu'une main sadique tourmente
    Dans les déchirures du ciel, les locomotives en furie
    S'enfuient 
    Et dans les trous,
    Les roues vertigineuses les bouches les voix
    Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses
    Les démons sont déchaînés
    Ferrailles
    Tout est un faux accord
    Le broun-roun-roun des roues
    Chocs
    Rebondissements
    Nous sommes un orage sous le crâne d'un sourd...

    "Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?"

    Mais oui, tu m'énerves, tu le sais bien, nous sommes bien loin
    La folie surchauffée beugle dans la locomotive
    La peste, le choléra, se lèvent comme des braises ardentes
    sur notre route
    Nous disparaissons dans la guerre en plein dans un tunel
    La faim, la putain, se cramponne aux nuages en débandade
    Et fiente des batailles en tas puants de morts
    Fais comme elle, fais ton métier... 

    "Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?" 

    Oui, nous le sommes, nous le sommes
    Tous les boucs émissaires ont crevé dans ce désert
    Entends les sonnailles de ce troupeau galeux Tomsk
    Tcheliabinsk  Kainsk  Obi  Taïchet  Verkné  Oudinsk
    Kourgane  Samara  Pensa-Touloune 
    La mort en Mandchourie
    Est notre débarcadère est notre dernier repaire
    Ce voyage est terrible
    Hier matin
    Ivan Oullitch avait les cheveux blancs
    Et Kolia Nicolaï Ivanovitch se ronge les doigts
    depuis quinze jours...
    Fais comme elles la Mort la Famine fais ton métier
    Ca coûte cent sous, en transsibérien, ça coûte cent roubles
    En fièvre les banquettes et rougeoie sous la table
    Le diable est au piano
    Ses doigts noueux excitent toutes les femmes
    La Nature
    Les Gouges
    Fais ton métier 
    Jusqu'à Kharbine... 

    "Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre ?" 

    Blaise Cendrars
     






  • Stèle au désir

    La cime haute a défié ton poids.
    Même si tu ne peux l'atteindre, que le dépit ne t'émeuve :
    Ne l'as-tu point pesée de ton regard ?

    La route souple s'étale sous ta marche.
    Même si tu n'en comptes point les pas, les ponts, les tours,
    les étapes, -- tu la piétines de ton envie.

    La fille pure attire ton amour.
    Même si tu ne l'as jamais vue nue, sans voix, sans défense,
    -- contemple-la de ton désir.

    Dresse donc ceci au Désir-Imaginant ;
    qui, malgré toutes, t'a livré la montagne,
    plus haut que toi, la route plus loin que toi,

    Et couché, qu'elle veuille ou non la fille pure sous ta bouche.

    Stèles orientées  -  Victor Segalen


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