LE PANAMA OU LES AVENTURES DE MES SEPT ONCLES
 BLAISE CENDRARS

 


 
 

Au bas de la page, le texte intégral du Poème

 


    "Le Panama ou les Aventures de mes sept Oncles" est un poème de Blaise Cendrars écrit en 1914.
    Il fait partie d'un recueil intitulé "Du monde entier au coeur du monde"
    qui comprend également "Les Pâques à New-York" écrit en 1912
    et "La Prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France" écrit en 1913.
    C'est le dernier enregistrement que j'ai fait de cette série de poèmes que Cendrars a écrit
    à la même époque autour de la thématique du voyage et de la rêverie poétique qui l'entoure...

    Ces 3 grands textes de Cendrars figurent parmi les oeuvres poétiques majeures du 20ème siècle.


    Enregistrement dans l'atelier du Peintre Robert Renard le 20 Février 2017

    Interprète     : Michel d'Auzon
    Dessin          : Robert Renard
    A la caméra  : Michaël d'Auzon
    Au son          : Hervé Guinouard 


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    d'une version trouvée sur l'INA (Institut National de l'Audiovisuel)
    (Dit par Marcel Herrand avec les commentaires de Blaise Cendrars
    et de sa femme Raymone)
     

 

 

     

                                                                                                                             à Edmond Bertrand
                                                                                                                               barman au Matachine


    LE PANAMA OU LES AVENTURES DE MES SEPT ONCLES –
    Blaise Cendrars


    Des livres
    Il y a des livres qui parlent du Canal de Panama 
    Je ne sais pas ce que disent les catalogues des bibliothèques
    Et je n'écoute pas les journaux financiers 
    Quoique les bulletins de la Bourse soient notre prière quotidienne

    Le Canal de Panama est intimement lié à mon enfance...
    Je jouais sous la table
    Je disséquais les mouches
    Ma mère me racontait les aventures de ses sept frères
    De mes sept oncles
    Et quand elle recevait des lettres
    Eblouissement !
    Ces lettres avec les beaux timbres exotiques qui portent
    les vers de Rimbaud en exergue 
    Elle ne me racontait rien ce jour-là 
    Et je restais triste sous ma table

    C’est aussi vers cette époque que j'ai lu l'histoire du tremblement de terre
      de Lisbonne
    Mais je crois bien
    Que le crach du Panama est d'une importance plus universelle 
    Car il a bouleversé mon enfance.

    J'avais un beau livre d'images
    Et je voyais pour la première fois
    La baleine
    Le gros nuage
    Le morse
    Le soleil
    Le grand morse
    L'ours le lion le chimpanzé le serpent à sonnettes et la mouche 
    La mouche 
    La terrible mouche
    -- Maman, les mouches !
      les mouches !  et les troncs d'arbres !
    -- Dors, dors, mon enfant. 
    Ahasvérus est idiot

    J'avais un beau livre d'images
    Un grand lévrier qui s'appelait Dourak
    Une bonne anglaise
    Banquier
    Mon père perdit les 3/4 de sa fortune
    Comme nombre d'honnêtes gens qui perdirent leur argent dans ce crach, 
    Mon père 
    Moins bête
    Perdait celui des autres, 
    Coups de revolver.
    Ma mère pleurait
    Et ce soir-la on m'envoya coucher avec la bonne anglaise

    Puis au bout d'un nombre de jours bien long…
    Nous avions dû déménager
    Et les quelques chambres de notre petit appartement étaient bourrées de meubles 
    Nous n'étions plus dans notre villa de la côte 
    J'étais seul des jours entiers 
    Parmi les meubles entassés 
    Je pouvais même casser de la vaisselle 
    Fendre les fauteuils 
    Démolir le piano…
    Puis au bout d'un nombre de jours bien long 
    Vint une lettre d'un de mes oncles

    C'est le crach du Panama qui fit de moi un poète !
    C'est épatant
    Tous ceux de ma génération sont ainsi
    Jeunes gens
    Qui ont subi des ricochets étranges
    On ne joue plus avec des meubles
    On ne joue plus avec des vieilleries
    On casse toujours et partout la vaisselle
    On s'embarque
    On chasse les baleines
    On tue les morses
    On a toujours peur de la mouche tsé-tsé
    Car nous n'aimons pas dormir.

    L'ours
     le lion  le chimpanzé  
    le serpent à sonnettes m'avaient appris à lire…
    Oh cette première lettre que je déchiffrai seul et plus grouillante que toute la création 
    Mon oncle disait

    Je suis boucher à Galveston 
    Les abattoirs sont à 6 lieues de la ville 
    C'est moi qui ramène les bêtes saignantes, le soir, tout le long de la mer 
    Et quand je passe les pieuvres se dressent en l'air 
    Soleil couchant…
    Et il y avait encore quelque chose 
    La tristesse 
    Et le mal du pays.

    Mon oncle, tu as disparu durant le cyclone de 1895
    J'ai vu depuis la ville reconstruite et je me suis promené au bord de la mer
      où tu menais les bêtes saignantes
    Il y avait une fanfare salutiste qui jouait dans un kiosque en treillage
    On m'a offert une tasse de thé
    On n'a jamais retrouvé ton cadavre
    Et à ma vingtième année j'ai hérité de tes 400 dollars d'économie
    Je possède aussi la boîte à biscuits qui te servait de reliquaire
    Elle est en fer-blanc
    Toute ta pauvre religion
    Un bouton d'uniforme
    Une pipe kabyle
    Des graines de cacao
    Une dizaine d'aquarelles de ta main
    Et les photos des bêtes à prime, les taureaux géants que tu tiens en laisse 
    Tu es en bras de chemise avec un tablier blanc

    Moi aussi j'aime les animaux
    Sous la table
    Seul
    Je joue déjà avec les chaises
    Armoires portes
    Fenêtres
    Mobilier modern-style
    Animaux préconçus
    Qui trônent dans les maisons
    Comme la reconstitution des bêtes antédiluviennes dans les musées
    Le premier escabeau est un aurochs !
    J'enfonce les vitrines
    Et j'ai jeté tout cela
    La ville, en pâture à mon chien
    Les images
    Les livres
    La bonne
    Les visites
    Quels rires !

    Comment voulez-vous que je prépare des examens ? 
    Vous m'avez envoyé dans tous les pensionnats d'Europe 
    Lycées
    Gymnases
    Université
    Comment voulez-vous que je prépare des examens
    Quand une lettre est sous la porte
    J'ai vu
    La belle pédagogie!
    J'ai vu au cinéma le voyage qu'elle a fait
    Elle a mis soixante-huit jours pour venir jusqu'à moi
    Chargée de fautes d'orthographe
    Mon deuxième oncle :

    J'ai marié la femme qui fait le meilleur pain du district
    J'habite à trois journées de mon plus proche voisin
    Je suis maintenant chercheur d'or à Alaska
    Je n'ai jamais trouvé plus de 500 francs d'or dans ma pelle 
    La vie non plus ne se paye pas à sa valeur ! 
    J'ai eu trois doigts gelés 
    Il fait froid...
    Et il y avait encore quelque chose 
    La tristesse 
    Et le mal du pays.

    Oh mon oncle, ma mère m'a tout dit
    Tu as volé des chevaux pour t'enfuir avec tes frères
    Tu t'es fait mousse à bord d'un cargo-boat
    Tu t'es cassé la jambe en sautant d'un train en marche
    Et après l'hôpital, tu as été en prison pour avoir arrêté une diligence 
    Et tu faisais des poésies inspirées de Musset 
    San-Francisco 
    C'est là que tu lisais l'histoire du général  Suter qui a conquis la Californie
      aux États-Unis 
    Et qui, milliardaire, a été ruiné par la découverte des mines d'or sur ses terres 
    Tu as longtemps chassé dans la vallée du Sacramento
    où j'ai travaillé au défrichement du sol 
    Mais qu'est-il arrivé
    Je comprends ton orgueil
    Manger le meilleur pain du district et la rivalité des voisins
    12 femmes par 1.000 kilomètres carrés 
    On t'a trouvé
    La tête trouée d'un coup de carabine 
    Ta femme n'était pas là
    Ta femme s'est remariée depuis avec un riche fabricant de confitures


    J'ai soif
    Nom de Dieu
    De nom de Dieu
    De nom de Dieu
    Je voudrais
    lire la Feuille d'Avis de Neuchâtel  ou le Courrier de Pampelune 
    Au milieu de l'Atlantique on n'est pas plus à l'aise que dans une salle de rédaction 
    Je tourne dans la cage des méridiens comme un écureuil dans la sienne
    Tiens voilà un Russe qui a une tête sympathique 
    Où aller
    Lui non plus ne sait où déposer son bagage
    A Léopoldville ou à la Sedjérah près Nazareth, chez Mr Junod
       ou chez mon vieil ami Perl 
    Au Congo
     en Bessarabie  à Samoa 
    Je connais tous les horaires 
    Tous les trains et leurs correspondances 
    L'heure d'arrivée
     l'heure du départ 
    Tous les paquebots
     tous les tarifs et toutes les taxes
     Ça m'est égal 
    J'ai des adresses 
    Vivre de la tape
    Je reviens d'Amérique à bord du Volturno, pour 35 francs de New York à Rotterdam

    C'est le baptême de la ligne
    Les machines continues s'appliquent de bonnes claques
    Boys
    Platch
    Les baquets d'eau
    Un Américain les doigts tachés d'encre bat la mesure
    La télégraphie sans fil
    On danse avec les genoux dans les pelures d'orange et les boîtes de conserve vides 
    Une délégation est chez le capitaine 
    Le Russe révolutionnaire expériences érotiques 
    Gaoupa
    Le plus gros mot hongrois 
    J'accompagne une marquise napolitaine enceinte de 8 mois 
    C'est moi qui mène les émigrants de Kichinef à Hambourg 
    C'est en 1901 que j'ai vu la première automobile, 
    En panne, 
    Au coin d'une rue 
    Ce petit train que les Soleurois appellent un fer à repasser 
    Je téléphonerai à mon consul 
    Délivrez-moi immédiatement un billet de 3e classe 
    The Uranium Steamship C° 
    J'en veux pour mon argent 
    Le navire est à quai 
    Débraillé
    Les sabords grand ouverts 
    Je quitte le bord comme on quitte une sale putain

    En route
    Je n'ai pas de papier pour me torcher
    Et je sors
    Comme le dieu Tangaloa qui en pêchant à la ligne tira le monde hors des eaux 
    La dernière lettre de mon troisième oncle :

    Papeete, le Ier septembre 1887. 
    Ma sœur, ma très chère sœur 
    Je suis bouddhiste membre d'une secte politique 
    Je suis ici pour faire des achats de dynamite 
    On en vend chez les épiciers comme chez vous la chicorée 
    Par petits paquets
    Puis je retournerai à Bombay faire sauter les Anglais
    Ça chauffe
    Je ne te reverrai jamais plus... 
    Et il y avait encore quelque chose 
    La tristesse 
    Et le mal du pays.

    Vagabondage
    J'ai fait de la prison à Marseille et l'on me ramène de force à l'école 
    Toutes les voix crient ensemble 
    Les animaux et les pierres 
    C'est le muet qui a la plus belle parole 
    J’ai été libertin et je me suis permis toutes les privautés avec le monde
    Vous qui aviez la foi pourquoi n'êtes-vous pas arrivé à temps 
    A votre âge 
    Mon oncle
    Tu étais joli garçon et tu jouais très bien du cornet à pistons
    C’est ça qui t'a perdu comme on dit vulgairement
    Tu aimais tant la musique que tu préféras le ronflement des bombes
     aux symphonies des habits noirs
    Tu as travaillé avec des joyeux Italiens à la construction d'une voie ferrée
      dans les environs de Baghavapour
    Boute en train
    Tu étais le chef de file de tes compagnons
    Ta belle humeur et ton joli talent d'orphéoniste
    Tu es la coqueluche des femmes du baraquement
    Comme Moïse tu as assommé ton chef d'équipe
    Tu t'es enfui
    On est resté 12 ans sans aucune nouvelle de toi
    Et comme Luther un coup de foudre t'a fait croire à Dieu
    Dans ta solitude
    Tu apprends le bengali et l'urlu pour apprendre à fabriquer les bombes
    Tu as été en relation avec les comités secrets de Londres
    C'est à White-Chapel que j'ai retrouvé ta trace
    Tu es convict
    Ta vie circoncise
    Telle que
    J'ai envie d'assassiner quelqu'un au boudin ou à la gaufre
      pour avoir l'occasion de te voir
    Car je ne t'ai jamais vu
    Tu dois avoir une longue cicatrice au front

    Quant à mon quatrième oncle il était valet de chambre du général Robertson
     
    qui a fait la guerre aux Boërs

    Il écrivait rarement des lettres ainsi conçues 
    Son Excellence a daigné m'augmenter de 50 £ 
    Ou 
    Son Excellence emporte 48 paires de chaussures à la guerre
    Ou
    Je fais les ongles de Son Excellence tous les matins...
    Mais je sais
    Qu'il y avait encore quelque chose
    La tristesse
    Et le mal du pays.

    Mon oncle Jean, tu es le seul de mes sept oncles que j'aie jamais vu 
    Tu étais rentré au pays car tu te sentais malade 
    Tu avais un grand coffre en cuir d'hippopotame qui était toujours bouclé 
    Tu t'enfermais dans ta chambre pour te soigner 
    Quand je t'ai vu pour la première fois, tu dormais 
    Ton visage était terriblement souffrant 
    Une longue barbe 
    Tu dormais depuis 15 jours 
    Et comme je me penchais sur toi 
    Tu t'es réveillé 
    Tu étais fou
    Tu as voulu tuer grand'mère 
    On t'a enfermé à l'hospice
    Et c'est là que je t'ai vu pour la deuxième fois 
    Sanglé
    Dans la camisole de force
    On t'a empêché de débarquer
    Tu faisais de pauvres mouvements avec tes mains
    Comme si tu allais ramer
    Transvaal
    Vous étiez en quarantaine et les horse-guards avaient braqué un canon
      sur votre navire 
    Pretoria
    Un Chinois faillit t'étrangler
    Le Tougéla
    Lord Robertson est mort
    Retour à Londres
    La garde-robe de Son Excellence tombe à l'eau ce qui te va droit au cœur 
    Tu es mort en Suisse à l'asile d'aliénés de Saint-Aubain 
    Ton entendement 
    Ton enterrement
    Et c'est là que je t'ai vu pour la troisième fois 
    Il neigeait 
    Moi, derrière ton corbillard, je me disputais avec les croque-morts
      à propos de leur pourboire 
    Tu n'as aimé que deux choses au monde 
    Un cacatoès 
    Et les ongles roses de Son Excellence

    Il n'y a pas d'espérance
    Et il faut travailler
    Les vies encloses sont les plus denses
    Tissus stéganiques
    Remy de Gourmont habite au 71 de la rue des Saints-Pères
    Filagore ou seizaine
    « Séparés un homme rencontre un homme mais une montagne ne rencontre
      jamais une autre montagne »
    Dit un proverbe hébreu
    Les précipices se croisent
    J’étais à Naples
    1896
    Quand j'ai reçu le Petit Journal Illustré
    Le capitaine Dreyfus dégradé devant l'armée
    Mon cinquième oncle :

    Je suis chef au Club-Hôtel de Chicago
    J’ai 400 gâte-sauces sous mes ordres
    Mais je n'aime pas la cuisine des Yankees
    Prenez bonne note de ma nouvelle adresse
    Tunis etc.
    Amitiés de la tante Adèle
    Prenez bonne note de ma nouvelle adresse
    Biarritz etc.

    Oh mon oncle, toi seul tu n'as jamais eu le mal du pays 
    Nice
      Londres  Buda-Pest   Bermudes  Saint-Pétersbourg  Tokio   Memphis 
    Tous les grands hôtels se disputent tes services 
    Tu es le maître
    Tu as inventé nombre de plats doux qui portent ton nom 
    Ton art
    Tu te donnes tu te vends on te mange 
    On ne sait jamais où tu es 
    Tu n'aimes pas rester en place 
    Il paraît que tu possèdes une Histoire de la Cuisine à travers tous les âges et chez tous les peuples 
    En 12 vol. in-8°
    Avec les portraits des plus fameux cuisiniers de l'histoire 
    Tu connais tous les événements 
    Tu as toujours été partout où il se passait quelque chose 
    Tu es peut-être à Paris. 
    Tes menus 
    Sont la poésie nouvelle

    J’ai quitté tout cela
    J'attends
    La guillotine est le chef-d'œuvre de l'art plastique
    Son déclic
    Mouvement perpétuel
    Le sang des bandits
    Les chants de la lumière ébranlent les tours
    Les couleurs croulent sur la ville
    Affiche plus grande que toi et moi
    Bouche ouverte et qui crie
    Dans laquelle nous brûlons
    Les trois jeunes gens ardents
    Hananie  Mizaël  Azarie
    Adam's  Express C°
    Derrière l'Opéra
    Il faut jouer à saute-mouton
    A la brebis qui broute
    Femme-tremplin
    Le beau joujou de la réclame
    En route !
    Siméon,  Siméon
    Paris-adieux

    C'est rigolo
    Il y a des heures qui sonnent
    Quai-d'Orsay-Saint-Nazaire !
    On passe sous la Tour Eiffel — boucler la boucle — pour retomber
      de l'autre côté du monde 
    Puis on continue

    Les catapultes du soleil assiègent les tropiques irascibles 
    Riche Péruvien propriétaire de l'exploitation du guano d'Angamos 
    On lance l’Acaraguan Bananan 
    A l'ombre 
    Les mulâtres hospitaliers
    J'ai passé plus d'un hiver dans ces îles fortunées
    L'oiseau-secrétaire est un éblouissement
    Belles dames plantureuses
    On boit des boissons glacées sur la terrasse
    Un torpilleur brûle comme un cigare
    Une partie de polo dans le champ d'ananas
    Et les palétuviers éventent les jeunes filles studieuses
    My gun
    Coup de feu
    Un observatoire au flanc du volcan
    De gros serpents dans la rivière desséchée
    Haie de cactus
    Un âne claironne la queue en l'air
    La petite Indienne qui louche veut se rendre à Buenos-Ayres 
    Le musicien allemand m'emprunte ma cravache à pommeau d'argent
      et une paire de gants de Suède 
    Ce gros Hollandais est géographe 
    On joue aux cartes en attendant le train 
    C'est l'anniversaire de la Malaise 
    Je reçois un paquet à mon nom, 200.000 pesetas et une lettre de mon sixième oncle : 
    Attends-moi à la factorerie jusqu'au printemps prochain

    Amuse-toi bien
     bois sec  et n'épargne pas les femmes 
    Le meilleur électuaire 
    Mon neveu...
    Et il y avait encore quelque chose 
    La tristesse 
    Et le mal du pays.

    Oh mon oncle, je t'ai attendu un an et tu n'es pas venu
    Tu étais parti avec une compagnie d'astronomes qui allait inspecter le ciel
      sur la côte occidentale de la Patagonie
    Tu leur servais d'interprète et de guide 
    Tes conseils 
    Ton expérience
    Il n'y en avait pas deux comme toi pour viser l'horizon au sextant
    Les instruments en équilibre
    Électro-magnétiques
    Dans les fjords de la Terre de Feu
    Aux confins du monde
    Vous pêchiez des mousses protozoaires en dérive entre deux eaux
      à la lueur des poissons électriques
    Vous collectionniez des aérolithes de peroxyde de fer
    Un dimanche matin :
    Tu vis un évêque mitré sortir des eaux
    Il avait une queue de poisson et t'aspergeait de signes de croix
    Tu t'es enfui dans la montagne en hurlant comme un vari blessé
    La nuit même
    Un ouragan détruisit le campement
    Tes compagnons durent renoncer à l'espoir de te retrouver vivant
    Ils emportèrent soigneusement les documents scientifiques
    Et au bout de trois mois,
    Les pauvres intellectuels,
    Ils arrivèrent un soir à un feu de gauchos où l'on causait justement de toi 
    J’étais venu à ta rencontre 
    Tupa
    La belle nature 
    Les étalons s'enculent
    200 taureaux noirs mugissent 
    Tango-argentin

    Bien quoi
    Il n'y a donc plus de belles histoires
    La Vie des Saints
    Das Nachtbuechlein von Schuman
    Cymbalum mundi
    La Tariffa delle Puttane di Venegia
    Navigation de Jean Struys, Amsterdam , 1528
    Shalom Aleïchem
    Le Crocodile de Saint-Martin
    Strindberg a démontré que la terre n'est pas ronde
    Déjà Gavarni avait aboli la géométrie
    Pampas
    Disque
    Les iroquoises du vent
    Saupiquets
    L'hélice des gemmes
    Maggi
    Byrrh
    Daily Chronicle
    La vague est une carrière où l'orage en sculpteur abat des blocs de taille 
    Quadriges d'écume qui prennent le mors aux dents 
    Eternellement
    Depuis le commencement du monde 
    Je siffle 
    Un frissoulis de bris

    Mon septième oncle

    On n'a jamais su ce qu'il est devenu
    On dit que je te ressemble
    ……………………………………………………………………………………….
    Je vous dédie ce poème
    Monsieur Bertrand
    Vous m'avez offert des liqueurs fortes pour me prémunir contre les fièvres du canal
    Vous vous êtes abonné à l'Argus de la Presse pour recevoir
    toutes les coupures qui me concernent.
    Dernier Français de Panama (il n'y en a pas 20)
    Je vous dédie ce poème
    Barman du Matachine
    Des milliers de Chinois sont morts où se dresse maintenant le Bar flamboyant
    Vous distillez
    Vous vous êtes enrichi en enterrant les cholériques
    Envoyez-moi la photographie de la forêt de chênes-lièges qui pousse
      sur les 400 locomotives abandonnées par l'entreprise française
    Cadavres-vivants
    Le palmier greffé dans la banne d'une grue chargée d'orchidées
    Les canons d'Aspinwall rongés par les toucans
    La drague aux tortues
    Les pumas qui nichent dans le gazomètre défoncé
    Les écluses perforées par les poissons-scie
    La tuyauterie des pompes bouchée par une colonie d'iguanes
    Les trains arrêtés par l'invasion des chenilles
    Et l'ancre gigantesque aux armoiries de Louis XV
      dont vous n'avez su m'expliquer la présence dans la forêt
    Tous les ans vous changez les portes de votre établissement incrustées de signatures
    Tous ceux qui passèrent chez vous
    Ces 32 portes quel témoignage
    Langues vivantes de ce sacré canal que vous chérissez tant

                          Ce matin est le premier jour du monde
                                                                                   Isthme
    D'où l'on voit simultanément tous les astres du ciel
                               et toutes les formes de la végétation
                    Préexcellence des montagnes équatoriales
                                                                       Zone unique 
    Il y a encore le vapeur de l'Amidon Paterson 
    Les initiales en couleurs de l'Atlantic-Pacific  Tea-Trust 
    Le Los Angeles limited qui part à 10 h 02 pour arriver le troisième jour
      et qui est le seul train au monde avec wagon-coiffeur 
    Le Trunk les éclipses et les petites voitures d'enfants 
    Pour vous apprendre à épeler l'A B C de la vie sous la férule des sirènes en partance 
    Toyo  Kisen  Kaïsha 
    J'ai du pain et du fromage 
    Un col propre 
    La poésie date d'aujourd'hui
                                             La voie lactée autour du cou 
                                  Les deux hémisphères sur les yeux 
                                                                     A toute vitesse 
                                                       II n'y a plus de pannes 
    Si j'avais le temps de faire quelques économies je prendrais part au rallye aérien 
    J'ai réservé ma place dans le premier train qui passera le tunnel sous la Manche 
    Je suis le premier aviateur qui traverse l'Atlantique en monocoque
    900 millions

    Terre  Terre  Eaux  Océans  Ciels 
    J'ai le mal du pays
    Je suis tous les visages et j'ai peur des boîtes aux lettres 
    Les villes sont des ventres 
    Je ne suis plus les voies 
    Lignes
                     Câbles
                                       Canaux
                                                         Ni les ponts suspendus !

    Soleils lunes étoiles
    Mondes apocalyptiques
    Vous avez encore tous un beau rôle à jouer
    Un siphon éternue
    Les cancans littéraires vont leur train
    Tout bas
    A la Rotonde
    Comme tout au fond d'un verre

                                                                                   
    J'ATTENDS

    Je voudrais être la cinquième roue du char
    Orage
    Midi à quatorze heures
    Rien et partout

     

                                                                           PARIS ET SA BANLIEUE
                                                                          
    Juin 1913 – Juin 1914

 

 

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