La Légende de Saint-Jacques

    Selon les hagiographes, Saint-Jacques était un des douze apôtres du Christ. Jacques, fils de Zébédée et de Marie Salomé, est le frère de
    Jean l'Evangéliste. Pêcheurs avec Simon-Pierre sur le lac de Tibériade en Galilée, ils sont les premiers à répondre à l'appel du Seigneur.

    On l'appellera plus tard Jacques le Majeur pour le distinguer de l'autre apôtre Jacques, dit le Mineur
    (Fils d'Alphée et de Marie Jacobé et cousin du Messie).
    Né à Bethsaide, petit village près de Capharnaüm en Galilée, il est représenté enfant avec bourdon (Bâton à deux nodosités) et coquille,
    futurs attributs du Majeur, l'apôtre Pèlerin. Les frères Jacques et Jean sont appelés aussi Boanergès, fils du tonnerre, en grec.


                                                                                                           
    La connaissance de sa vie n'est guère prolixe; il figure avec Jean parmi les apôtres auxquels le Christ révéla sa Gloire Divine, mais aussi

    ses doutes avant de mourir. Selon la tradition, à la mort de Jésus, les apôtres se répartirent les différentes nations auxquelles ils devaient
    apporter le message d'évangélisation. A Jacques fut attribuée l'Espagne. Il prêcha d'abord en Judée et Samarie puis s'embarqua pour la
    péninsule Ibérique. Il n'y eut aucun succès et n'arriva à former que neuf disciples selon certains, sept selon d'autres.


    Suite à cet échec, il rentra à Jérusalem. La légende raconte que la ville n'écoutait plus que deux magiciens : Hermogène et Philetus.
    S'ensuivit une série de conflits menés par légions d'anges et de démons. L'apôtre commandant les anges, Hermogène les démons.
    Finalement, Hermogène fut vaincu. Il lui apporta ses livres de magie pour les brûler mais Jacques refusa le Feu et les fit jeter à la mer.
    Premier des apôtres à avoir subi le martyre, Jacques fut décapité sous le roi Hérode Agrippa en 44 après J.C. à Jérusalem.

                                                                                                            
    La légende continue...
    Après sa décapitation, ses disciples enlevèrent le corps en pleine nuit, le mirent sur un vaisseau sans gouvernail et l'abandonnèrent
    à la Providence. Sous la conduite d'un ange, l'embarcation aborde en Galice, pointe nord-ouest de l'Espagne, au lieu-dit Iria Flavia,
    aujourd'hui Padron à l'embouchure du rio Julia. Les disciples déchargent son corps et le posent sur une énorme pierre qui, en fondant
    comme de la cire sous le corps, se façonna en sarcophage.
    A cette époque, la province était sous l'égide de la Reine Louve (Lugh en celte) à qui fut présentée la dépouille du saint.
    "Le Seigneur Jésus-Christ t'envoie le corps de son disciple afin que tu reçoives mort celui que tu n'as pas pu recevoir vivant".
    Ils lui demandent un lieu pour la sépulture. Elle accepte difficilement, propose un attelage conduit par des boeufs qui ne sont en réalité
    que des taureaux féroces. Un autre miracle se produit alors : Tempérant le fougueux attelage, le corps est transporté au milieu du palais
    de la Reine, qui à cette occasion fut convertie et dédia son palais à Saint-Jacques.

    D'autres récits rapportent d'autres versions, mais peu importe, le lieu de la sépulture fut oublié pendant des siècles.
    Il ne fut retrouvé qu'en 813 ou 830, sous le règne d'Alphonse le Chaste.

    A l'ermite Pelage, serait apparue une étoile au-dessus d'un champ désert indiquant le saint lieu, d'où le nom de Campus Stellae,
    le champ d'étoiles, Compostelle.
    L'évêque d'Iria Fluvia, Théodomir, découvre le corps du saint décapité et atteste la découverte.
    Le Roi des Asturies et Galice, Alphonse II, y fait édifier une première chapelle.

    Les Espagnols occupés par les Maures depuis 400 ans obtiennent une victoire décisive pour s'en libérer (Reconquista) en 844, à Clavijo.
    A cette bataille, Saint-Jacques apparut sur un cheval blanc et conduisit à la victoire les troupes de Don Ramir.
    Saint-Jacques Matamore fut promu patron de l'Espagne et voué à sacrer les rois d'Espagne à Las Huelgas près de Burgos.
    A Santiago, s'élève un nouvel édifice consacré en 899 par Alphonse III.

                                                                                                          
    En 997, la basilique est détruite par un dernier raid musulman sous la conduite d'Al Mansour.
    Au XI° siècle, Sanche III le Grand amorce une politique chrétienne de l'Espagne
    et la construction de la Cathédrale romane actuelle débute en 1075.
     

    Le Pèlerinage

    Le pèlerinage compostellien repose sur une légende, mais legenda en latin veut dire annales.
    On ne crée pas les légendes, elles sont des histoires. Des histoires certes romancées mais des histoires.
    Transmises la plupart du temps par voie orale, au commencement en tout cas, elles subissent bien sûr la déformation selon le principe
    de la transmission orale. Et selon les lieux, les peuples, les races, elles vont se transformer selon les rites, les religions et les croyances.
    Quelles que soient les déformations, les légendes colportent toujours une parcelle de vérité, mais le fond demeure flou et vague dans
    les mémoires collectives voire individuelles. On ne peut les supprimer ni les ignorer pour cette raison et il demeure en nous cette
    vieille histoire de la quête et du devenir de l'être humain. Faute de ne pouvoir les supprimer, on les adapte selon les traditions
    et les adapter,
    c'est aussi les sauver.
                                                                                                            
    Ainsi, le chaudron de Lugh devient-il le Saint-Graal, objet de la quête des chevaliers de la Table Ronde du roi Arthur...
    Ainsi, le cromlech celtique devient-il ladite Table Ronde...
    Ainsi, la multi-millénaire vierge noire orientale devient-elle la très catholique Notre-Dame...
    Ainsi, la très riche marche initiatique de la connaissance du ciel comme outil de perfectionnement spirituel
    devient-elle
    le pèlerinage chrétien de Santiago.

    Compostelle est populairement le Chemin des Etoiles et plus particulièrement de la Voie Lactée.
    Au Moyen Âge, les lieux de pèlerinage se multiplient, mais trois destinations principales se développent.
    Il s'agit de la Terre Sainte avec le Saint-Sépulcre, de Rome où les fidèles se recueillent sur le tombeau de Saint Pierre,
    enfin de Santiago qui draine toute l'Europe au cours du Moyen Âge, où une immense foule de fidèles va vénérer le Matamore.

    Premier mode de voyage à cette époque, le pèlerinage est :
    "un acte volontaire et désintéressé par lequel un homme abandonne ses lieux coutumiers, ses habitudes et même son entourage pour
    se rendre, dans un esprit religieux, jusqu'au sanctuaire qu'il a délibérément choisi ou qui lui a été imposé" (Guide du Pèlerin).
    A cette époque les guides prolifèrent, cherchant à conseiller le pèlerin et à faciliter sa tâche tout au long de son périple.

    Le Guide du Pèlerin de Saint-Jacques, Liber Sancti Jacobi, appelé aussi Codex Calixtinus à cause d'une lettre apocryphe du pape
    Calixte II (mort en 1124) qui lui sert de préface, est rédigé vers 1139. Il est écrit sous l'égide d'Aymeri Picaud, Olivier d'Iscam, de Vézelay
    et de sa compagne Geberge la Flamande. Ce Codex comporte cinq parties ou livres dont le dernier est consacré à l'itinéraire et aux hospices.
    Texte assez inégal, le Codex décrit la parie espagnole de l'itinéraire avec moult détails, alors que les trajets français sont peu descriptifs.

                                                                                                              

    Quatre routes se réunissent en une seule à Puente-la-Reina. Ces quatre routes partent :
    - de Tours passant par Poitiers, Saintes et Bordeaux.
    - de Vézelay passant par Limoges et Périgueux.
    - du Puy passant par Conques et Moissac.
    - d'Arles passant par Saint-Guilhem et Toulouse.
    Les Pyrénées sont passées par deux cols : Roncevaux et le Somport, Voie Navararaise par Pampelune, Voie Aragonaise par Jaca.

                                                                                                        
    A partir des Pyrénées, le Codex décrit avec beaucoup de détails treize étapes, en tout et pour tout, d'inégales longueurs
    et qui ne semblent
    pas correspondre à des étapes pédestres mais bien plus à une mystérieuse géographie.

    A l'époque de la mise en place de ces étapes, les milliers de pèlerins se rendront dans leur grande majorité à Santiago à pied,
    et il est curieux aujourd'hui que personne n'ait traité de ce découpage en treize tronçons !


    S'il avait été question d'aller faire des dévotions au tombeau du saint, toute route eût été bonne et surtout la plus directe,
    la route de
    la côte atalantique, laquelle fut d'ailleurs utilisée, mais jamais citée dans le Codex.

    Mais la route du chemin "El Camino" resta la route traditionnelle la plus fréquentée malgré les difficultés notoires de tous ordres,
    tant géographiques, avec le passage des Pyrénées, que sécuritaires.

    Il y a là une preuve essentielle que la légende chrétienne s'est fondée sur des annales plus anciennes qui mettaient un accent impératif
    sur l'utilisation de cette voie très spéciale, plus longue, plus accidentée et plus fatigante.

    Tout ceci semble sorti d'un tour de passe-passe. Il n'en est rien et, pour comprendre ce qu'il y a derrière ce Codex,
    il va falloir parler de l'ordre des Bénédictins...
                                                                                                                  
    L'essor bénédictin a pour aboutissement Cluny fondée en 909, qui jouit à cette époque d'une célébrité remarquable et  prospéra très vite.
    Elle constitua le premier groupement qui rassemble un grand nombre de monastères. Ce rayonnement dura plus de 150 ans.

    L'ordre cistercien apparaît ensuite au Moyen Âge, avec la fondation de Citeaux en 1098 et surtout avec l'arrivée de Saint Bernard
    et de ses compagnons, vers 1112. A cette occasion, furent créés quatre autres abbayes parmi lesquelles Clairvaux, dont Bernard fut l'Abbé.
    L'ordre est plus rigoureux et se sépare des Bénédictins. A la fin du XII° siècle, Citeaux compte 340 monastères.

                                                                                                                
    Le travail de recueil des traditions celtiques ayant été fait, le dolmen va devenir église, puis cathédrale. Les constructions commencent.
    Le gothique apparaît soudainement en 1130 et en quelques années, il est complet et total.

    Cette longue histoire des Bénédictins permet de comprendre les influences réciproques entre moines irlandais et Ordre Bénédictin,
    puis Clunisien et Cistercien.

    Toujours est-il que le Pèlerinage émerge à cette époque !


    Pour les chrétiens, le Pèlerinage existait déjà au VII° siècle depuis le concile d'Osma qui avait nommé Saint-Jacques patron de l'Espagne,
    approximativement 200 ans avant la construction de la première église d'Alphonse II.

    L'ouverture légale du Pèlerinage se fait en 951 avec Godescalc, un évêque français du Puy-en-Velay.
    C'est pour cela que le Chemin est appelé Camino Francés.

    L'ère du Pèlerinage est lancée, de l'Europe toute entière vont s'élancer des millions de pèlerins. Mais les premiers pèlerinages
    ne sont pas sans danger !  Car en Espagne même la "Reconquista" continue (elle durera cinq siècles).
    A la fin du X° siècle, la ville même de Santiago sera dévastée par le calife El Mansour.

                                                                                                          
    La construction de l'actuelle Cathédrale romane fut supervisée par les pères de Cluny qui avaient aussi préparé le Chemin
    en construisant des abbayes, des hôpitaux, des chapelles, des relais et des ponts.
    Le célèbre Maître Mathieu, en 1168, va mettre 20 ans pour terminer le monument
    et son magnifique "Portique de la Gloire" est inauguré en 1188.


    Construisant les édifices, les pères de Cluny assurent aussi la sécurité du "Camino" grâce, entre autres,
    aux Chevaliers de l'Ordre du Temple (fondé par deux chevaliers français en 1119, Hugues de Payens et Geoffroy de Saint-Omer)

    avalisé en 1127 au concile de Troyes par les Bénédictins et les Cisterciens, plus tard par le Saint-Siège en 1139.

    La route est prête et des millions de pèlerins vont s'y aventurer pendant des siècles pour vénérer l'apôtre
    mais aussi pour les plus savants
    y chercher la connaissance, car sur cette route vont se rencontrer et s'échanger
    Orient et Occident dans beaucoup de domaines
    culturels, philosophiques et spirituels.

                                                                                              
    Texte emprunté à l'oeuvre de Jean-Pierre Guiraud
    "LE CHEMIN DES ETOILES"
     

Retour à la page d'accueil