Jeudi 8 Septembre 2016 : Mansilla de las Mulas > Leon   (19 km)

Etape 19 /38


    Aux bords de l’humanisme – Sylvain Tesson
    (Suite)

    L'homme a été un jour en mesure de tenir un gourdin dans une main et une chevelure dans
    l'autre. Depuis lors, la moitié des membres de la race humaine opprime l'autre : elle est lourde
    à porter, pour le wanderer, cette découverte-là. Il s'en serait bien passé. En aveugle béat, il aurait
    préféré garder intact son amour de l'espèce, de lui-même, son humanisme. Il coulerait de
    meilleures nuits, sans insomnies.

    Aussi, depuis qu'il a perdu son humanisme, préfère-t-il vouer sa vie à contempler les pandas roux,
    ou les salamandres de Bavière. Il lui aura fallu une trentaine d'armées pour arriver à une vision du
    monde bâtie sur l'émerveillement devant les myosotis et la vénération des cicindèles plutôt que
    sur la promotion de ses pairs ! À présent, il cherche à courir le monde en portant une bannière sur
    laquelle serait frappé le conseil que le saint Antoine d'Antonio Veira donna aux poissons lors d'un
    sermon prononcé au Brésil : « Poissons ! Plus vous serez loin des Hommes, mieux cela vaudra ! »

    De tous mes voyages, sous les latitudes du monde, je rapporte la certitude que le climat le plus
    difficile à supporter est le climat d'adoration qui nimbe le mâle.

    Petit dialogue tenu un jour au Balouchistan avec un musulman buissonneux qui confondait
    la pilosité et la sagesse et m'interrogeait sur ma famille :

    - Tu as des frères ?
    - Non, j'ai deux soeurs.
    - Ah ? Tu es seul enfant ?

    Cette conversation affligeante aurait pu s'être tenue de l'un à l'autre bout des pays de la terre.
    On a les vengeances qu'on peut : je racontai à ce barbu que j'avais été chassé de chez moi par
    ma mère (qui faisait des affaires) et mon père (qui gardait la maison), lesquels ne voulaient pas
    de moi car ils désiraient une fille. Il m'écouta avec beaucoup de gentillesse et de consternation.

    Je n'ai donc plus tellement soif de mes semblables et me demande même - avec prudence -
    si l'humanisme n'est pas un réflexe de défense corporatiste, une sorte de syndicalisme biologique
    destiné à protéger l'espèce à laquelle on appartient, à défendre ses prérogatives. Nul doute qu'on
    pratiquerait le léopardisme si on était léopard et l'éléphantisme si on était éléphant. L'amour porté
    à l'Homme par lui-même (et ses avatars finalistes, anthropocentristes, monothéistes...) ne serait que
    l'adoration de soi-même dans le miroir de l'autre. Une façon de se masturber en faisant croire à son
    prochain que c'est lui qu'on caresse. Les humanistes aiment, lorsqu'ils contemplent les yeux de leur
    prochain, y découvrir que c'est eux qu'on regarde.

    Ma réticence tient également au vocabulaire. J'ai le sentiment désagréable que le discours humaniste
    confond la grandeur de quelques personnages avec la valeur proclamée de l'Homme. Sous le prétexte
    que, dans la nuit de l'histoire, brillent de rares hommes d'exception (les figures de proue de René
    Grousset), des torchères plantées sur les récifs pour nous guider dans la traversée des âges, le discours
    conclut que rien sur la terre ne se situe au-dessus de l'Homme. C'est la même confusion qui entraîne à
    décrire comme aurifère une rivière de boue dans laquelle roulent quelques pépites, comme si charrier
    à dose infime une poignée de paillettes suffisait à sauver un flot de limon sale.

    Une fois que l'humanisme a perdu du terrain dans son âme, le vagabond ne se met plus en route
    sur les chemins du monde dans l'uni que souci de rencontrer des hommes. Parfois même il lui arrive
    de les éviter ostensiblement. Il choisit des régions dépeuplées. Il fait un détour quand il parvient
    en vue d'une ville ou d'un campement. Il n'a pas besoin de converser : il possède ses poèmes
    et le chant du monde. Il a d'autres rendez-vous : avec la beauté des forêts, avec le soupir des marais,
    avec le vol des insectes et le ressac des mers. Et ces rendez-vous-là sont offerts à la solitude, fidèle
    amante du voyageur à laquelle devrait être donné le nom de Félicité. J’ai découvert (si tard !)
    combien un homme seul était en bonne compagnie.
     


"""Débarrassez-vous de toutes les choses qui ne vous apportent pas de joie"
Ramtha





Ce matin le soleil voulait m'engloutir...


Devant le pont de Puente Villarente




   
Jessie jeune pèlerine belge


Une vache égarée...


Le Chemin...


Puente Castro à l'entrée de Leon


Ma chambre à l'Hostal Albany

La Ciudad de León


Plaza Mayor


La Casa Botines de l'architecte Antonio Gaudi


Cathédrale Santa Maria de León

Petite visite...






      












La Basilique Saint Isidore...


...avec sa crypte


On est devenus copains...
 


    Après avoir résolu mon problème de smartphone grâce à l'aide précieuse de Marie la pèlerine artiste
    que j'ai rencontrée hier, nous prenons le Chemin ensemble. A la sortie de la ville, elle me distance pour

    prier, ce qu'elle fait habituellement, alors que moi je déclame mes poèmes...

    Je marche tranquillement sur ce chemin qui côtoie tout le long du parcours la nationale.
    Marie fait demi-tour pour aller prendre un bus qui l'emmènera au-delà de Leon qu'elle connaît déjà
    et qu'elle veut éviter. Un peu plus loin, je rejoins Jessie cette jeune pèlerine belge qui a une tendinite
    à la jambe gauche. On marche ensemble jusqu'à l'entrée de Leon où se trouve un bureau d'information
    pour les pèlerins.

    Je repars seul pour aborder la traversée de cette ville jusqu'aux abords de la Cathédrale où je trouve
    une chambre dans un Hostal idéalement situé en plein centre et très calme.
    Après un bon repos dans une chambre confortable avec draps et oreiller ce qui de temps en temps
    est bien appréciable, je sors en ville pour aller à la poste renvoyer mon guide de Madrid.

    Ensuite visite de la Cathédrale que j'avais déjà pu admirer lors de mon passage en 2005.

    C'est une merveille dans un style gothique espagnol avec ses nefs hautes et élancées et l'exceptionnelle
    parure de vitraux qui éclairent d'une lumière aux multiples couleurs cet immense vaisseau.
    Ensuite je me promène dans le centre historique de cette cité prestigieuse et dans le quartier très animé
    du Barrio Humedo.

    En fin d'après-midi, je fais quelques courses, pharmacie et épicerie, avant d'aller dîner dans
    un restaurant "Green Corner" où je me régale de plats locaux et d'un bon vino de Rioja.
     

 

 

La Cathédrale Santa Maria
 

 


Hébergement à l'Hostal Albany à 100 m de la Cathédrale
C/ La Paloma 11-13  -  Tél. 987 26 46 00
(4 coquilles)
 



    Aux bords de l’humanisme – Sylvain Tesson
    (Suite et Fin)

    Lorsque je longeai les grèves du Baïkal, ma solitude fut un spectre à travers lequel le lac se révéla
    tout autre que l'année d'après où j'y retournai en joyeuse compagnie. L'errant qui s'en va seul,
    à travers une géographie hostile — une steppe, une lande, un maquis, un marais —, se repaît
    d'un monde où les forces vivantes jouent leur partition sans avoir besoin que des yeux les regardent,
    qu'une plume chante leurs oeuvres et surtout (horreur suprême que ce cri de Verhaeren) qu'une main
    recrée « et les monts et les mers et les plaines d'après une autre volonté ».

    Apprendre à rester seul, pour vivre plus densément. Encore faut-il préciser qu'un vagabond
    romantique solitaire n'est jamais vraiment seul. Il a recours à une présence qui accompagnait
    les chemineaux au temps où les mutes d'Europe étaient couvertes de marcheurs : les fées.
    Celui qui a fait sien le mot de Novalis invitant à « être perpétuellement en état de poésie » saura
    reconnaître dans chaque expression de la nature la manifestation de leur existence. Il les traquera
    là où elles se cachent, c'est-à-dire partout, car le propre et le génie des fées est de prendre corps
    au moment où on le décide. Au Tibet, à deux jours de marche de la ville de Lhassa, je me suis
    endormi un matin au bord d'une source claire et je me souviens d'avoir fait un rêve très charmant
    qui correspondait sans aucun doute au souvenir de la visite faite en moi par la gardienne des lieux.

    Dans le Gobi, un peu étourdi par la solitude, j'ai parlé aux buissons ligneux qu'épargnait la dent
    de mon cheval et ces conversations m'aidèrent à puiser l'énergie pour aller de l'avant. Lorsque je
    grimpe à un arbre, j'ai conscience de déranger un peuple et je ne cueille plus de champignons sans
    un léger scrupule : celui de déloger peut-être un occupant qui prenait le frais sous la corolle.

    L'exercice permet de réenchanter le monde qui nous entoure : il suffit de savoir le regarder avec
    de nouveaux yeux, rafraîchis par la certitude shakespearienne qu'« il est plus de merveilles en ce
    monde que n'en peuvent contenir tous nos rêves
    », de partir rencontrer les dieux dans sa forêt
    intérieure, de lâcher les chevaux de son imagination. Antique pratique que cette double lecture
    du monde consistant à féconder du regard les choses qui reposent sous nos yeux. En s'y exerçant,
    on fera aisément accoucher de trolls un chaos de rochers et jaillir une chasse de déesses entre
    deux écharpes de nuages masquant la lune pleine. Une nuit du dernier mois de mars, alors qu'un
    disque énorme se levait au-dessus de la nappe d'albâtre d'un lac gelé de Sibérie, je crus voir
    distinctement dans les chaos de glace voguer un vaisseau aux voiles déchirées qui lui-même se
    glissa dans mon rêve une fois que je regagnai ma tente et n'en fut chassé que par la lumière du jour.

    J'ai en projet pour les années à venir un chantier de réhabilitation des fées. Attention !
    Pas de méprise ! Il ne s'agira pas de cuisiner, dans la casserole de la mode, l'actuelle bouillie
    néo-celtique qui n'est rien d'autre que la mise de la féerie au service des marchands.
    (Trente-cinq années de celtic revival en Europe.) Il s'agira plutôt d'une marche solitaire, hivernale,
    musicienne et littorale, de la Galice espagnole aux Highlands écossais, destinée à sentir peser sur
    l'épaule le poids de la présence enchanteresse des êtres invisibles, à chanter leur existence oubliée,
    à apprendre à lire les lignes cachées sous l'apparence du monde et à souligner que l'arc atlantique,
    cette bande où l'écume rencontre le granit, constitue le séjour privilégié d'un petit peuple ami.
    Il est temps d'abattre à la hache de la poésie la muraille derrière laquelle pleurent les fées de
    l'enfance européenne, prisonnières de la grotte aux hirondelles qu'avait su retrouver Yourcenar,
    cette fée immortelle.

    In, « Petit traité de l’immensité du monde »
    Editions des Equateurs
     

 

Retour