Prière à l'inconnu
Voilà que je me surprends à t'adresser la parole, Mon Dieu, moi qui ne sais encore si tu existes Et ne comprends pas la langue de tes églises chuchotantes. Je regarde les autels, la voûte de ta maison, Comme qui dit simplement: voilà du bois, de la pierre, Voilà des colonnes romanes. Il manque le nez à ce saint. Et au-dedans comme au-dehors, il y a la détresse humaine. Je baisse les yeux sans pouvoir m'agenouiller pendant la messe, Comme si je laissais passer l'orage au-dessus de ma tête. Et je ne puis m'empêcher de penser à autre chose. Hélas ! j'aurai passé ma vie à penser à autre chose. Cette autre chose, c'est encore moi. C'est peut-être mon vrai moi-même. C'est là que je me réfugie. C'est peut-être là que tu es. Je n'aurai jamais vécu que dans ces lointains attirants. Le moment présent est un cadeau dont je n'ai pas su profiter. Je n'en connais pas bien l'usage. Je le tourne dans tous les sens, Sans savoir faire marcher sa mécanique difficile. Mon Dieu, je ne crois pas en toi, je voudrais te parler tout de même. J'ai bien parlé aux étoiles, bien que je les sache sans vie, Aux plus humbles des animaux, quand je les savais sans réponse, Aux arbres qui, sans le vent, seraient muets comme la tombe. Je me suis parlé à moi-même, quand je ne sais pas bien si j'existe. Je ne sais si tu entends nos prières, à nous les hommes, Je ne sais si tu as envie de les écouter. Si tu as, comme nous, un coeur qui est toujours sur le qui-vive Et des oreilles ouvertes aux nouvelles les plus différentes Je ne sais pas si tu aimes à regarder par ici. Pourtant je voudrais te remettre en mémoire la planète terre Avec ses fleurs, ses cailloux, ses jardins et ses maisons Avec tous les autres et nous qui savons bien que nous souffrons. Je veux t'adresser sans tarder ces humbles paroles humaines Parce qu'il faut que chacun tente à présent tout l'impossible. Même si tu n'es qu'un souffle d'il y a des milliers d'années Une grande vitesse acquise Une durable mélancolie Qui ferait tourner encore les sphères dans leur mélodie Je voudrais, mon Dieu sans visage et peut-être sans espérance Attirer ton attention parmi tant de ciels vagabonde Sur les hommes qui n'ont pas de repos sur la planète. ................... (Suite en bas de page)
Jules Supervielle
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