..Sur la route uniforme, lorsque ni le souvenir,
ni la contemplation ne se portent au secours de l'errant,
celui-ci a toujours la ressource de se replier dans ses rêves.
Combien de vagabonds, égarés dans les landes,
ont-ils avancé en traînant autour d'eux
des lambeaux de visions, rêvant comme ils respirent.
L'uniformité des lieux désolés incite à s'envoler
vers les "Incroyables Florides" de l'imagination.
L'état de légère inanition dans lequel on se trouve à la fin
d'une étape forcée colore les rêves de teintes fantastiques.
Sur la piste, pour combattre le vide, il y a la poésie !
Le vagabond peut réciter des vers inépuisablement.
La poésie remplit les heures creuses.
Elle entretient l'esprit et gonfle l'âme.
Elle est un rythme mis en musique.
Les vers scandent la marche
et peuvent être accordés à l'atmosphère :
je dis plutôt Péguy dans la plaine arasée,
Hugo dans le marais, Apollinaire en altitude,
Shakespeare dans la tempête, Norge quand je suis saoul.
Et le soir, à la halte, j'arrache de mon cahier de poésie
la page qui m'a nourri tout le jour et construis avec elle
un petit feu auquel je récite le poème appris.
Manière charmante de clore la journée.
"Petit traité sur l'immensité du monde" - Sylvain Tessson