"...Quant à moi, je voyage non pour aller quelque part, mais pour marcher. Je voyage pour le plaisir de voyager. L'important est de bouger, d'éprouver de plus près les nécessités et les embarras de la vie, de quitter le lit douillet de la civilisation, de sentir sous mes pieds le granit terrestre et les silex épars avec leurs coupants. Hélas ! tandis que nous avançons dans l'existence et sommes plus préoccupés de nos petits égoïsmes, même un jour de congé est une chose qui requiert de la peine. Toutefois, un ballot à maintenir sur un bât contre un coup de vent venu du nord glacial n'est point une activité de qualité, mais elle n'en contribue pas moins à occuper et à former le caractère. Et lorsque le présent montre tant d'exigences, qui peut se soucier du futur ?...
... Luc lui-même se compose d'une double rangée éparse d'habitations resserrées entre une montagne et une rivière. Il n'offre aux regards ni beauté ni le moindre trait notable, sinon l'antique château qui le surplombe avec ses cinquante quintaux de Madone tout battant neufs. Mais l'auberge était propre et spacieuse. La cuisine avec ses beaux lits compartimentés tendus de rideaux en toile nette, l'immense cheminée de pierre, son manteau de quatre mètres de longueur, tout garni de lanternes et de statuettes religieuses, son appareil de coffres et ses deux horloges à tic-tac, formait le véritable modèle de ce que devrait être une cuisine - une cuisine de mélodrame à souhait pour bandits et gentilshommes travestis. Et la scène n'était pas déshonorée par l'hôtelière, une vieille femme, ombre silencieuse et digne, vêtue et coiffée de noir comme une nonne. Même le dortoir commun avait son caractère original avec ses tables longues et ses bancs de bois blanc, où cinquante convives auraient pu dîner, disposés comme pour une fête de la moisson, et ses trois lits compartimentés le long de la muraille. Dans l'un deux, couché sur la paille et recouvert par une paire de nappes, j'ai fait pénitence une nuit entière, le corps en chair de poule et claquant des dents. Et j'ai soupiré, de temps à autre, lorsque je m'éveillais, après mon sac en peau de mouton et l'orée de quelque grand bois sous le vent... (Extrait de "Voyages avec un âne dans les Cévennes" - Stevenson)
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