Extrait du Topo de Jacques Castonguay, mon ami québecois qui a fait ce Chemin en Mai 2007
Le Bleymard > Le Pont-de-Montvert
Je quitte Le Bleymard pour
entreprendre ma montée sur le mont Lozère qui en occitan se dit « mont
Losera ». La pente est
régulière et assez facile. Je traverse d’abord un centre de ski qui en raison
des faibles chutes de neige, a été peu fréquenté l’hiver dernier. A cause de
l’actuel réchauffement climatique, de tels centres en basse altitude ont un
avenir sombre. Lorsque je quitte l’abri des arbres, je suis confronté à un vent
fort qui m’oblige à passer sous le menton le cordon de mon chapeau. Avec sa
large croupe granitique dénudé s’étirant d’est en ouest, le mont Lozère est une
montagne où les influences méditerranéennes affrontent celles de l’Atlantique.
Ceci crée à l’occasion de brusques et violents orages et de belles bourrasques
de neige en hiver. Le Tarn y prend naissance avant de couler vers
l’ouest, vers l’Atlantique. Ici, le granit dessine le paysage. De gros
rochers blancs, des boules de granit venues on ne sait d’où, du passage d’un
glacier probablement, parsèment son sommet et donnent l’impression d’un
étonnant et puissant chaos. On y retrouve les pelouses d’altitude qui servent
de pâturage aux moutons et aux vaches. C’est le domaine des transhumants car de
longue date, des troupeaux s’y retrouvent chaque printemps. On raconte qu’en
1900, quelques 100000 moutons arrivaient sur le Mont Lozère en provenance de l’Hérault, du Gard et de la Camargue. Aujourd’hui, seules 6000 à 8000 bêtes s’y
déplacent, souvent en camion. Je n’en vois aucune lors de mon passage. En saison, sur le sommet, les
myrtilles (bleuets chez nous) y poussent en abondance entre les tourbières et
les genêts, les bruyères et les genévriers nains à feuilles piquantes. La
régression de l’agriculture depuis le 20ème siècle aurait permis un
retour progressif de la forêt naturelle incluant des pins sylvestres et des
sapins. D’autres plantes poussent sur le Mont Lozère dont le trèfle des Alpes
que je remarque ainsi que la pulsatile printanière dont la fleur aux poils
violets et jaunes au centre. On retrouve dans la région une flore
exceptionnelle notamment des jonquilles, des narcisses, des épilobes roses, des
digitales pourpres, des verges d’or, des gentianes jaunes et beaucoup d’autres.
Un panneau m’informe que sur le Lozère, poussent aussi des coquelicots, des
œillets de poètes ainsi que des chardons baromètres qui s’ouvrent selon les
conditions d’humidité. Il y a 4000 ans, les hommes ont planté sur cette
montagne quelques 150 menhirs. Sur les crêtes, des croix de Malte à huit
pointes sont gravées sur des bornes et elles rappellent qu’il y avait ici autrefois, vers 1166, une
commanderie d’Hospitaliers. Je photographie une de ces belles croix gravée sur
une grande pierre taillée, une colonne plantée dans le sol qu’on nomme montjoie
et qui servait autrefois de jalon à qui voulait retrouver sa route ou
regagner son hameau. Après huit kilomètres de marche, je parviens à 1700
mètres, au point le plus haut du Lozère, le pic Finiels. Malgré un ciel
pas très bien dégagé, j’ai de ce point une vue panoramique sur tous les
territoires et monts avoisinants. Des lignes d’horizon se succèdent et c’est de
ce même belvédère que Stevenson a pu contempler les Cévennes. Il a écrit de
belles pages à ce sujet. Si le ciel était clair, il a pu apercevoir aussi les
monts d’Aubrac, la Margeride, le Bougès, le Vercors et le Mont Blanc.
Guidé par une autre série de
solides et fiers montjoies, je quitte cette crête fascinante pour entreprendre
une longue descente sur le versant sud. A l’abri du vent, le décor change.
Ponctuée de sapins et de hêtres, la végétation reparaît et prend le dessus sur
le granit. C’est donc en forêt et aux trémolos des oiseaux que je descends
jusqu’au hameau de Finiels où je fais une pause casse-croûte et où une
fontaine me désaltère. J’avance sur un petit sentier de terre battue, dans une
vallée étroite et de plus en plus profonde, au travers de genêts en fleurs, de
broussailles et de gros cailloux. C’est magnifique et puis-je rêver d’un plus beau chemin de randonnée ? Je
chemine aussi au bruit d’une rivière qui descend en cascade dans les rochers.
Un gué coupe le sentier et j’y rencontre une jeune française qui a tenté de le
traverser en sautant d’une pierre à une autre. Comme l’eau est profonde et le
courant fort, elle échoua et glissa, et je la rejoins alors qu'elle est occupée à enlever ses souliers de marche et à tordre ses chaussettes. Des chaussures ainsi détrempées sèchent difficilement et peuvent
causer de sérieux problèmes (eg ampoules, etc) aux pieds humides d’un marcheur.
Cette mésaventure m’amène donc à éviter le gué et à emprunter une autre chemin
pour parvenir à ma destination pour la journée, la commune du Pont-de-Montvert. Elle s’étend sur le versant sud du mont Lozère et on l’a
dénommée le « village aux trois ponts ». Ce sera un des plus beaux et
des plus intéressants sites de ma randonnée. Avec ses maisons en pierres
sèches, le bourg semble escalader les versants des collines. Il est construit
au confluent de trois cours d’eau, le Ruimalet qui descend du Lozère, le
ruisseau de Valmalettes et finalement le Tarn au cours capricieux
et à l’occasion responsable de crues importantes. C’est la même rivière qui a
creusé plus loin les fameuses gorges du Tarn. La population de la
commune a déjà été de 1500 habitants, mais à peine 300 y résident présentement,
vivant essentiellement du tourisme. Animé par les touristes en été, ce village
deviendrait mort et triste en hiver selon la tenancière de l’épicerie.
Certaines régions se sont
définies autour de tragédies et la mémoire en est toujours vive. La Vendée
et le Pays Cathare en sont des exemples mais il en est de même du pays
des Camisards et Le Pont-de-Montvert en est le centre.
C’est en effet ici, sur le pont enjambant le Tarn et que je traverse, qu’eut
lieu le 24 juillet 1702, un tragique et sanglant drame. En effet, ce jour-là,
l’Abbé du Chayla qui avait été envoyé pour mâter les « hérétiques »
fut mis à mort par un groupe de Camisards dirigé entre autres par Esprit
Séguier. On l’accusait d’avoir mis dans ses prisons quatre garçons et trois
filles avant de les envoyer aux galères. Le but de l’opération était donc de
libérer ces prisonniers mais le coup de main dérapa et se termina par un
meurtre, le premier, ce qui suscita et signa le début de terribles
représailles. La guerre des Cévennes qu’on appelle aussi la Guerre des
Camisards venait de commencer. Esprit Séguier, premier chef des Camisards, fut
arrêté et jugé et le 12 août 1702, on lui coupa la main droite avant de
l’exécuter. Dans la région, sa mémoire est encore présente et entretenue.
Une des premières choses que me frappe lorsque j’entre
dans ce village, c’est le temple protestant sombre, massif et à l’air très
vieux. Il est ouvert avec son intérieur presque nu, ce qui me fait penser à une
église catholique délestée de tous ses objets précieux et de toutes ses
décorations. Dans son livre, Stevenson raconte avoir visité ce temple et s’y
être senti à l’aise avec ses coreligionnaires protestants. Marchant dans les
rues, je remarque un monument aux soldats morts, un de plus. Au lieu de
l’habituel poilu fauché en pleine gloire ou du coq avantageux, ce monument
porte en bas-relief deux bœufs sous joug, agrémenté en grosses lettres du mot PAX.
Quel beau message ! Mais comme l’homme est bête et comme il a la mémoire courte ! Car une autre guerre fauchera d’autres vies de 1939 à 1945. L’Auberge des
Cévennes est mon refuge pour la nuit et je partage le dîner avec huit autres randonneurs. Stevenson était descendu dans ce même hôtel en 1878 et je remarque
au mur un cadre représentant Clarisse, la femme qui lui avait servi ses repas
et qui dit-on, avait plu à l’Ecossais.
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