8ème étape  - Mercredi 25 Août 2010 :
 Le Bleymard  > Mont Lozère (1699 m) > Le-Pont-de-Montvert  (875 m) - 18 km

 


La piste que j'avais suivie dans la soirée disparut bientôt et je continuai, au delà d'une montée de gazon pelé,
de me diriger d'après une suite de bornes de pierres pareilles à celles qui m'avaient guidé à tarvers le Goulet.
Il faisait chaud déjà. J'accrochai ma veste au ballot et marchait en gilet de tricot. Modestine, elle-même
tout excitée, partit dans un trottinement cahotant qui faisait valser l'avoine dans les poches de mon paletot.
C'était bien la première fois que cela arrivait. La perspective à l'arrière sur le Gévaudan septentrional
s'élargissait à chaque pas. A peine un arbre, à peine une maison apparaissaient-ils dans les landes d'un

plateau sauvage qui s'étendaient au nord, à l'est, à l'ouest, bleu et or dans l'atmosphère lumineuse du matin...
...Presque du premier instant de mon ascension, un ample bruit atténué comme une houle lointaine avait
empli mes oreilles. Parfois, j'étais tenté de croire au voisinage d'une cascade et parfois à l'impression toute
subjective de la profonde quiétude du plateau. Mais, comme je continuais d'avancer, le bruit s'accrut et
devint semblable au sifflement d'une énorme fontaine à thé. Au même instant, des souffles d'air glacial,
partis directement du sommet, commencèrent de m'atteindre. A la fin, je compris. Il ventait fort sur
l'autre versant de la Lozère et chaque pas que je faisais me rapprochait de l'ouragan...

(Extrait de "Voyages avec un âne dans les Cévennes"  - Stevenson)
 



A peine sortis du village du Bleymard, le chemin monte vers le Col Santel à 1200 m

d'altitude et 3 kilomètres plus loin il y a la station du mont Lozère à 1421 m.


Les paysages sont superbes avec des plateaux et des chaînes de montagne qui s'étendent au loin...


L'ascension jusqu'au sommet de Finiels (Sommet du Mont Lozère à 1699 m)
est balisée par ces hautes "montjoies" de granite


Il y a de grandes étendues de bruyère


Un marcheur perdu dans cette immensité...


Il y a encore quelques troupeaux transhumants qui viennent l'été sur les pentes herbues du Lozère


On ne se lasse pas de contempler le paysage...

   
Un marcheur en prière et 2 autres marcheurs sur la crête du sommet


C'est vraiment un bel endroit pour se reposer et pique-niquer !


Au sommet du mont Lozère, plusieurs tables d'orientation qui permettent de situer
dans toutes les directions les montagnes qui s'offrent à la vue :
Vers le nord, les monts d'Aubrac et la Margeride
Vers le nord-est, le mont Gerbier-de-Jonc
Plus à l'est, le département de l'Ardèche dominé par le massif du Tanargue
Et au loin, la chaîne des Alpes avec le Mont-Blanc que l'on apercevait assez nettement
ce jour là. Enfin plein-est on peut aussi apercevoir le mont Ventoux.


C'est vraiment grandiose !

 

Le sommet du Mont-Lozère (1699 m)


La première partie de la descente est un peu difficile au milieu d'éboulis de cailloux,
ensuite, des chemins forestiers plus agréables jusqu'à Finiels (1220m)


On retrouve après Finiels un environnement plus verdoyant

    
Les sentinelles ruminantes de ce Chemin


L'arrivée sur
Pont-de-Montvert


Le centre du village au bord du Tarn

 

Hébergement à l'Hôtel-Restaurant  "L'Auberge des Cévennes"
(Relais Stevenson)
Petite chambre peu agréable et dîner correct
2 Coquilles



 


Extrait du Topo de Jacques Castonguay, mon ami québecois qui a fait ce Chemin en Mai 2007


  Le Bleymard > Le Pont-de-Montvert

 
Je quitte Le Bleymard pour entreprendre ma montée sur le mont Lozère qui en occitan se dit « mont Losera ». 
La pente est régulière et assez facile. Je traverse d’abord un centre de ski qui en raison des faibles chutes de neige, a été peu
fréquenté l’hiver dernier. A cause de l’actuel réchauffement climatique, de tels centres en basse altitude ont un avenir sombre.
Lorsque je quitte l’abri des arbres, je suis confronté à un vent fort qui m’oblige à passer sous le menton le cordon de mon chapeau.
Avec sa large croupe granitique dénudé s’étirant d’est en ouest, le mont Lozère est une montagne où les influences
méditerranéennes affrontent celles de l’Atlantique. Ceci crée à l’occasion de brusques et violents orages et de belles bourrasques
de neige en hiver. Le Tarn y prend naissance avant de couler vers l’ouest, vers l’Atlantique. Ici, le granit dessine le paysage.
De gros rochers blancs, des boules de granit venues on ne sait d’où, du passage d’un glacier probablement,
parsèment son sommet et donnent l’impression d’un étonnant et puissant chaos.
On y retrouve les pelouses d’altitude qui servent de pâturage aux moutons et aux vaches. C’est le domaine des transhumants
car de longue date, des troupeaux s’y retrouvent chaque printemps. On raconte qu’en 1900, quelques 100000 moutons arrivaient
sur le Mont Lozère en provenance de l’Hérault, du Gard et de la Camargue. Aujourd’hui, seules 6000 à 8000 bêtes s’y déplacent,
souvent en camion. Je n’en vois aucune lors de mon passage. En saison, sur le sommet, les myrtilles (bleuets chez nous)
y poussent en abondance entre les tourbières et les genêts, les bruyères et les genévriers nains à feuilles piquantes.
La régression de l’agriculture depuis le 20ème siècle aurait permis un retour progressif de la forêt naturelle incluant des pins
sylvestres et des sapins. D’autres plantes poussent sur le Mont Lozère dont le trèfle des Alpes que je remarque ainsi que
la pulsatile printanière dont la fleur aux poils violets et jaunes au centre. On retrouve dans la région une flore exceptionnelle
notamment des jonquilles, des narcisses, des épilobes roses, des digitales pourpres, des verges d’or, des gentianes jaunes
et beaucoup d’autres. Un panneau m’informe que sur le Lozère, poussent aussi des coquelicots, des œillets de poètes
ainsi que des chardons baromètres qui s’ouvrent selon les conditions d’humidité. Il y a 4000 ans, les hommes ont planté
sur cette montagne quelques 150 menhirs. Sur les crêtes, des croix de Malte à huit pointes sont gravées sur des bornes et elles
rappellent qu’il
  y avait ici autrefois, vers 1166, une commanderie d’Hospitaliers. Je photographie une de ces belles croix gravée
sur une grande pierre taillée, une colonne plantée dans le sol qu’on nomme montjoie et qui servait autrefois de jalon à qui voulait
retrouver sa route ou regagner son hameau. Après huit kilomètres de marche, je parviens à 1700 mètres, au point le plus haut
du Lozère, le pic Finiels. Malgré un ciel pas très bien dégagé, j’ai de ce point une vue panoramique sur tous les territoires
et monts avoisinants. Des lignes d’horizon se succèdent et c’est de ce même belvédère que Stevenson a pu contempler
les Cévennes. Il a écrit de belles pages à ce sujet. Si le ciel était clair, il a pu apercevoir aussi
les monts d’Aubrac, la Margeride, le Bougès, le Vercors et le Mont Blanc.

Guidé par une autre série de solides et fiers montjoies, je quitte cette crête fascinante pour entreprendre une longue descente
sur le versant sud. A l’abri du vent, le décor change. Ponctuée de sapins et de hêtres, la végétation reparaît et prend le dessus
sur le granit. C’est donc en forêt et aux trémolos des oiseaux que je descends jusqu’au hameau de Finiels où je fais une pause
casse-croûte et où une fontaine me désaltère. J’avance sur un petit sentier de terre battue, dans une vallée étroite et de plus en plus
profonde, au travers de genêts en fleurs, de broussailles et de gros cailloux. C’est magnifique et puis-je
  rêver d’un plus beau
chemin de randonnée ? Je chemine aussi au bruit d’une rivière qui descend en cascade dans les rochers.
Un gué coupe le sentier et j’y rencontre une jeune française qui a tenté de le traverser en sautant d’une pierre à une autre.
Comme l’eau est profonde et le courant fort, elle échoua et glissa, et je la rejoins alors qu'elle est occupée à enlever ses souliers
de marche et à tordre ses chaussettes. Des chaussures ainsi détrempées sèchent difficilement et peuvent causer de sérieux
problèmes (eg ampoules, etc) aux pieds humides d’un marcheur. Cette mésaventure m’amène donc à éviter le gué et à
emprunter une autre chemin pour parvenir à ma destination pour la journée, la commune du Pont-de-Montvert.
Elle s’étend sur le versant sud du mont Lozère et on l’a dénommée le « village aux trois ponts ».
Ce sera un des plus beaux et des plus intéressants sites de ma randonnée.
Avec ses maisons en pierres sèches, le bourg semble escalader les versants des collines. Il est construit au confluent de trois
cours d’eau, le Ruimalet qui descend du Lozère, le ruisseau de Valmalettes et finalement le Tarn au cours capricieux
et à l’occasion responsable de crues importantes. C’est la même rivière qui a creusé plus loin les fameuses gorges du Tarn.
La population de la commune a déjà été de 1500 habitants, mais à peine 300 y résident présentement, vivant essentiellement
du tourisme. Animé par les touristes en été, ce village deviendrait mort et triste en hiver selon la tenancière de l’épicerie.

Certaines régions se sont définies autour de tragédies et la mémoire en est toujours vive.
La Vendée et le Pays Cathare en sont des exemples mais il en est de même du pays des Camisards et Le Pont-de-Montvert
en est le centre. C’est en effet ici, sur le pont enjambant le Tarn et que je traverse, qu’eut lieu le 24 juillet 1702, un tragique
et sanglant drame. En effet, ce jour-là, l’Abbé du Chayla qui avait été envoyé pour mâter les « hérétiques » fut mis à mort
par un groupe de Camisards dirigé entre autres par Esprit Séguier. On l’accusait d’avoir mis dans ses prisons quatre garçons
et trois filles avant de les envoyer aux galères. Le but de l’opération était donc de libérer ces prisonniers mais le coup de main
dérapa et se termina par un meurtre, le premier, ce qui suscita et signa le début de terribles représailles.
La guerre des Cévennes qu’on appelle aussi la Guerre des Camisards venait de commencer.
Esprit Séguier, premier chef des Camisards, fut arrêté et jugé et le 12 août 1702, on lui coupa la main droite avant de l’exécuter.
Dans la région, sa mémoire est encore présente et entretenue.

 
Une des premières choses que me frappe lorsque j’entre dans ce village, c’est le temple protestant sombre, massif et à l’air très
vieux. Il est ouvert avec son intérieur presque nu, ce qui me fait penser à une église catholique délestée de tous ses objets précieux
et de toutes ses décorations. Dans son livre, Stevenson raconte avoir visité ce temple et s’y être senti à l’aise avec ses
coreligionnaires protestants. Marchant dans les rues, je remarque un monument aux soldats morts, un de plus.
Au lieu de l’habituel poilu fauché en pleine gloire ou du coq avantageux, ce monument porte en bas-relief
deux bœufs sous joug, agrémenté en grosses lettres du mot PAX. Quel beau message ! 
Mais comme l’homme est bête et comme il a la mémoire courte ! Car une autre guerre fauchera d’autres vies de 1939 à 1945.
L’Auberge des Cévennes est mon refuge pour la nuit et je partage le dîner avec huit autres randonneurs.
Stevenson était descendu dans ce même hôtel en 1878 et je remarque au mur un cadre représentant Clarisse,
la femme qui lui avait servi ses repas et qui dit-on, avait plu à l’Ecossais.

 


 


Pays, arrêté à mi-chemin

Pays, arrêté à mi-chemin
entre la terre et les cieux,
aux voix d'eau et d'airain,
doux et dur, jeune et vieux,

comme une offrande levée
vers d'accueillantes mains :
beau pays achevé,
chaud comme le pain !

Rainer Maria Rilke
(Les quatrains valaisans)



Ô nostalgie des lieux

Ô nostalgie des lieux qui n'étaient point
assez aimés à l'heure passagère,
que je voudrais leur rendre de loin
le geste oublié, l'action supplémentaire !

Revenir sur mes pas, refaire doucement
- et cette fois, seul - tel voyage,
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc ...

Monter à la chapelle solitaire
que tout le monde dit sans intérêt ;
pousser la grille de ce cimetière,
se taire avec lui qui tant se tait.

Car n'est-ce pas le temps où il importe
de prendre un contact subtil et pieux ?
Tel était fort, c'est que la terre est forte ;
et tel se plaint : c'est qu'on la connaît peu.

Rainer Maria Rilke
(Vergers)
 

 

 

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